Mais c'est vers le Parti lui-même que l'offensive est peut-être la plus nécessaire pour Y. Andropov, notamment en province. Les Obkoms (Comités régionaux), qui exercent sur le terrain l'essentiel du pouvoir, ont à leur tête des responsables issus de l'ère brejnévienne et soutenus, semble-t-il, par C. Tchernenko. Ils tiennent plus que tout à conserver leurs prérogatives et leurs privilèges, et voient d'un très mauvais œil le développement de la campagne de moralisation.
Tout en dénonçant, par presse interposée et à l'aide d'exemples concrets, l'incompétence ou la corruption au sein du Parti, il met les dirigeants au pied du mur en organisant, fin 1983, des élections dans les 400 000 cellules de base du PCUS. Il s'agit d'élire non seulement les responsables de ces unités, mais aussi ceux des municipalités, des régions et des districts : au total, plus de 1 million de fonctionnaires.
Économie : toujours l'hypothèque
Youri Andropov agit ainsi non seulement pour affermir son pouvoir, mais aussi, surtout peut-être, pour assainir l'économie, la réussite de ce second objectif conditionnant fortement le premier.
Comme chaque année, le bilan est médiocre et les causes — outre celles relevant de la conjoncture internationale et de l'énorme effort budgétaire pour la défense — sont semblables aux autres années : gaspillage, irresponsabilité, indiscipline, autant de tares qui rendent vaine toute élaboration d'une nouvelle politique et indispensable une réelle reprise en main. Cela d'autant qu'au sommet même de l'appareil le numéro un se trouve confronté à une opposition plus ou moins ouverte à ses thèses. Alors que, dès le début 1983, il dénonce l'emprise excessive du pouvoir politique sur les affaires économiques et qu'il se prononce pour une plus grande autonomie accordée aux entreprises, Kommunist, organe théorique du PCUS, affirme, dans un article paru en août, que l'efficacité économique ne peut être garantie que par un « rôle accru de la politique » et non par le recours aux « mécanismes du marché ».
En dépit de cette résistance plus ou moins ouverte, Youri Andropov lance, en juillet, une opération expérimentale. Il s'agit d'accroître l'autonomie de planification et de production des entreprises concernées afin d'améliorer productivité et qualité des produits, en réduisant les dépenses et en augmentant l'« intéressement matériel » des travailleurs. Une action néanmoins très ponctuelle, qui montre avec quelle prudence Y. Andropov avance dans le réformisme économique. Pour le consommateur, rien ne change : les files d'attente devant les magasins restent un phénomène quotidien et des tickets de rationnement pour certains produits alimentaires réapparaissent un temps en province.
Dissidence, répression
La continuité, on la retrouve aussi dans un domaine tout autre : celui de la lutte contre la dissidence. L'homme à poigne qu'est Youri Andropov — et qui avait réussi, du temps où il dirigeait le KGB, à décapiter presque totalement la contestation — poursuit avec détermination le démantèlement de l'opposition, militants des Droits de l'homme ou groupes ethniques, religieux qui ne réclament que le simple droit à la différence. Perquisitions, arrestations, procès frappent toutes sortes de contestataires.
La plupart des Juifs qui veulent émigrer (4 000 demandes actuellement en souffrance) se voient refuser leurs visas. Fin septembre, 939 personnes seulement avaient pu quitter l'URSS contre 2 700 en 1982. Ceux qui restent, les refuzniks, sont victimes de menaces et de brimades permanentes, quand ils ne sont pas — comme Anatoly Chtcharansky ou Iossif Begun — soumis à une détention particulièrement dure.
Quant aux chrétiens, ils sont, eux aussi, l'objet d'une hostilité de plus en plus marquée de la part des autorités. Un religieux s'est vu interdit d'enseignement à l'académie de Zagorsk et un autre a été arrêté pour avoir animé un camp de jeunes. Une laïque, Mme Krakhmainikova, est condamnée, le 1er avril, à un an de prison pour avoir publié des textes de prières et le père Gleb Yakounine, frappé de cinq ans de réclusion en 1980, est désormais privé de toute correspondance, de colis, de visites et même de Bible. Faits qui n'empêchent pas deux représentants de la hiérarchie de l'Église orthodoxe russe d'affirmer, en juillet, à Montréal, au cours d'une conférence de presse, que « personne n'a jamais été persécuté en URSS pour sa foi ».