Les militaires et leur patron, le maréchal Oustinov, ministre de la Défense, continuent d'accorder leur soutien au numéro un qu'ils avaient contribué à faire élire en novembre. En dépit de cette triple accession aux postes clés (Parti, État, Armée), Youri Andropov sait qu'il n'a pas encore les coudées totalement franches, non seulement au sein du Bureau politique, où ses fidèles ne représentent pas la majorité absolue, mais aussi dans les divers organes dirigeants du Parti (notamment en province). Il ne s'engage qu'avec une extrême prudence dans la mutation des personnes, des méthodes et des idées.
C'est ainsi qu'à l'issue des sessions du Comité central (14 et 15 juin) et du Soviet suprême (16 et 17 juin), dont tous les kremlinologues attendaient beaucoup, on ne constate aucune novation majeure. Fait le plus saillant : la nomination au secrétariat du Comité central de Grigori Romanov, 60 ans, déjà membre du Bureau politique. Outre Youri Andropov, deux membres du Bureau politique seulement partageaient jusqu'ici ce privilège de siéger dans les deux organismes suprêmes du Parti : Constantin Tchernenko et le benjamin de l'équipe, Michail Gorbatchev (52 ans). En revanche, aucun nouveau membre n'est admis au Politburo, bien que, après le décès de Mikhail Souslov, Leonid Brejnev, Arvid Pelche et le limogeage d'Andrei Kirilenko, il ne compte plus que onze membres.
Le nom de deux candidats est un temps avancé : Édouard Chevarnadzé et Vladimir Dolguikh, membres suppléants du Bureau politique et fidèles d'Andropov, mais, prudence de ce dernier ou impossibilité d'imposer encore sa loi, les promotions attendues ne viennent pas. À noter cependant, trois mois auparavant, celle d'Andrei Gromyko, qui avait — tout comme le maréchal Oustinov — fortement appuyé la candidature de Y. Andropov en novembre et dont l'influence demeure déterminante au sommet du Parti. Tout en restant chef de la diplomatie, il est en effet nommé, le 24 mars, premier vice-président du Conseil des ministres. Récompense des services rendus.
La reprise en main
L'apparente lenteur dans le renouvellement et la prise en main de la haute hiérarchie s'explique sans doute par un rapport de forces encore aléatoire et donc la nécessité de ménager les partisans de l'ex-rival C. Tchernenko, dont l'ultra-conservatisme est patent. Il peut se résumer par cette phrase prononcée devant le Comité central : « Il existe des vérités (marxistes-léninistes) qui ne sont pas sujettes à révision, des problèmes qui ont été résolus de longue date. »
Cette mise en garde n'empêche pas Youri Andropov de procéder à de nombreux limogeages et de placer aux postes devenus ainsi vacants des hommes de confiance, généralement plus jeunes. Il ne se passe pas de jours sans que les journaux et la télévision dénoncent la corruption, la spéculation, l'absentéisme au travail, la délinquance, l'alcoolisme et même ce « goût immodéré des cadres pour le luxe et le pouvoir ». Des opération coups de poing sont lancées périodiquement dans tel cinéma, tel grand magasin, tels bains publics, avec vérification d'identité systématique, pour traquer les tire-au-flanc, et un décret, publié en janvier, annonce que dorénavant les parasites seront placés dans des centres de rééducation.
Contre les nantis, une campagne de presse sans précédent
La conséquence la plus manifeste de cette remise en ordre est le limogeage de nombreux responsables. Depuis le début de l'année, 10 ministres et 16 ambassadeurs ont été déplacés ou renvoyés, et près de 10 % des cadres remplacés. Au total, une centaine au moins de personnalités en vue de la Nomenklatura sont écartées. À Moscou, aucun secteur n'est épargné : aussi bien le Comité central (où, sur 23 départements, 7 ont changé de titulaires, 11 ont été remaniés et 3 — économie, agriculture et industrie légère — ont été totalement refondus) que la présidence des Komsomols (Jeunesse communiste), la propagande, la presse ou la police.
L'épuration
Le ministre de l'Intérieur, Vitali Fedortchouk (dont le prédécesseur attend de passer en justice), ne mâche pas ses mots. Dans un article de la Pravda du 10 août il écrit : « Tous les organes relevant du ministère seront nettoyés des éléments qui n'y ont pas place. » Pour l'aider dans cette tâche, le Bureau politique décide la mise en place de commissaires politiques chargés de veiller à la pureté idéologique des policiers. Même souci pour l'armée.