Mais il y a aussi expansion de l'arabité, due à la fois aux ambitions de riches pays arabes (notamment la Libye et l'Arabie Saoudite) et à la sensibilité islamique, aux besoins financiers de certains pays africains proches du monde arabe. Ainsi Djibouti, les Comores, le Tchad, où les arabophones ne constituaient qu'une minorité, ont adopté l'arabe comme langue officielle. Suivant l'exemple de la Somalie, qui a pourtant une langue nationale distincte de l'arabe, Djibouti a même accédé à la Ligue arabe en 1977, peu après la proclamation de son indépendance. Cependant, malgré de fortes sollicitations, le Mali et surtout le Niger ont résisté jusqu'à présent aux pressions de l'arabité.
Si, malgré des à-coups et des tensions dus à l'existence de fortes minorités berbérophones, l'arabisation paraît irréversible au Maghreb, l'avenir est plus incertain en Mauritanie et au Tchad, où une partie importante de la population méridionale demeure réfractaire — hostile même — à l'arabe. Dans ces deux pays, au Tchad surtout, le français pourrait peut-être s'imposer durablement comme deuxième langue officielle, et comme langue nationale pour les populations noires du Sud, unies dans leur rejet de l'arabe, mais divisées par des langues et dialectes divers.
Nationalisme
C'est en effet la multiplicité des langues vernaculaires qui constitue le principal obstacle à leur adoption comme langues officielles dans les pays d'Afrique noire. Et, cependant, cet obstacle n'est pas insurmontable, comme le montrent les statistiques : en 1935, un seul pays d'Afrique subsaharienne, l'Éthiopie, avait une langue officielle indigène, l'amharique. Actuellement, sans compter la Somalie, partiellement arabisée, il y en a 7. Parmi eux, 3 ex-francophones à part entière — le Rwanda, le Burundi et Madagascar — et 1 ex-bilingue français-anglais, les Seychelles.
Comme l'indique la résolution adoptée en septembre 1975, à Paris, par 25 États africains, on peut s'attendre à un important développement des langues vernaculaires au cours de la prochaine décennie. Ce courant irrésistible est sous-tendu par la volonté des équipes dirigeantes nationalistes de restaurer l'identité culturelle de leur pays. Dans les États où existe déjà une langue vernaculaire prééminente, comme le ouolof au Sénégal, celle-ci tendra naturellement à s'imposer comme langue officielle. Là où coexistent au contraire un grand nombre de dialectes minoritaires, la tâche est plus ardue. Les autorités du Zaïre, pays francophone le plus peuplé après la France, qui compte près de 400 dialectes, ont tenté de résoudre ce dilemme en reconnaissant, aux côtés du français, seule langue officielle, 4 langues nationales principales : le swahili, le lingala, le ciluba, le kikongo.
Même l'inexistence d'un alphabet vernaculaire ne suffit plus à dissuader les responsables nationalistes africains. Suivant l'exemple d'Ataturk en Turquie, le président somalien Ziyad Barre n'a pas hésité, en 1974, à créer un alphabet national, inspiré du latin.
Est-ce à dire que le français est irrémédiablement condamné à reculer, en Afrique et dans le reste du monde ? Faut-il en conclure, comme le font les éditeurs ouest-allemands, qu'« il est inutile de mener un combat à retardement sur la langue », qu'il suffit, par exemple, de multinationaliser l'édition ? Rien n'est moins sûr. Car il existe pour la francophonie d'indiscutables raisons d'espérer.
Réservoir
Le continent noir est un formidable réservoir de francophones. Quel que soit le développement des langues vernaculaires, le français garde, dans la plupart des pays subsahariens, un statut privilégié. Car, langue d'unité nationale, mais aussi langue de rayonnement panafricaine et internationale, il permet le désenclavement culturel des États et l'accès à la technique et à lé science. Est-ce un hasard si, de tous les pays autrefois francophones qui ont opté pour une langue nationale officielle, un seul — le Rwanda — a abandonné le français (sauf pour le commerce et la diplomatie), tous les autres choisissant le bilinguisme ?