Les délégations francophones ont réagi dès le 12 mai 1966 à cet état de choses. Elles constituent un groupe de pression permanent, qui ne tarde pas à rassembler régulièrement les représentants de 32 États membres, et elles engagent une action concertée. Le groupe finit par obtenir satisfaction sur la plupart des points soulevés, mais ne peut empêcher la lente érosion de l'influence du français : en 1975, 26 orateurs seulement sur 127 prennent la parole en français lors du débat général de l'Assemblée.
Communauté
La plupart des organisations internationales, transnationales ou supranationales — à l'exception notable de l'Union postale universelle et de l'Académie diplomatique internationale où le français demeure la seule langue officielle — déplorent le même phénomène de régression de la langue de Molière. À la conférence des non-alignés de Bandoeng (représentant 62 % de la population mondiale), en avril 1955, le français est accepté comme 3e langue de travail après l'anglais et l'arabe. Au sein de la Ligue arabe, de l'OEA, de l'ASEAN, le français occupe une place marginale. À l'OUA, il est en concurrence avec l'arabe et l'anglais.
Mais c'est la CEE qui présente le cas le plus spectaculaire. Tant que la Communauté européenne était limitée à six membres, le français assumait, de fait, le rôle de langue de travail et de communication. Les fonctionnaires allemands, italiens et néerlandais ont été pratiquement contraints d'apprendre le français. Après l'élargissement, en 1973, de la Communauté à neuf, les nouveaux fonctionnaires ont introduit au secrétariat une seconde langue : l'anglais est devenu langue véhiculaire de la CEE aux côtés du français.
Recherche
Plus que les institutions internationales, la Communauté scientifique donne la mesure de l'effondrement de la langue française. Dans une étude (L'anglais, langue scientifique internationale) publiée en 1976, Ginette Gablot affirme que, sur 136 658 articles concernant cinq domaines scientifiques publiés en 1975 dans le monde et recensés, 7,1 % seulement l'étaient en français. Un professeur de physique-chimie à Paris-XI assure de son côté que « dans un congrès scientifique, 30 à 40 % des personnes se lèvent et quittent la salle lorsqu'on annonce une communication en français ». Tel immunologue britannique déclare avec superbe que « tous ceux qui ne parlent pas l'anglais devraient s'abstenir de toucher au domaine de l'immunologie ».
En France même, l'INSERM, le CNRS, l'INRA incitent — obligent dans certains cas — leurs chercheurs à publier en anglais, et en priorité dans des revues anglo-saxonnes. Ces mêmes organismes vont jusqu'à subventionner des revues scientifiques où des Français publient en anglais des travaux réalisés dans des laboratoires français. La situation est si catastrophique que l'université d'Orsay a organisé en juin 1980 un colloque intitulé : L'anglais, langue scientifique française. Ce titre était à la fois « une provocation, un regret, une constatation ».
L'Assemblée générale de l'AIPLF, réunie en septembre 1980 à Ottawa, a consacré au problème de la place du français dans la communication scientifique de nombreux débats. L'accent a été mis sur la nécessité pour les pouvoirs publics français d'une action concertée avec les gouvernements des pays francophones pour encourager la science en français. Notamment par des incitations ou des sanctions financières, et par la création d'un Office international des publications scientifiques en langue française. La création d'une conférence internationale des doyens de faculté de médecine d'expression française, décidée en janvier 1981 aux Ves Journées médicales d'Abidjan, s'inscrit dans ce même contexte.
Handicaps
Mais les causes du mal sont plus profondes. C'est le niveau remarquable de la recherche et des réalisations aux États-Unis qui donne à l'anglais un avantage incontestable. L'usage de cette langue paraît donc indispensable pour faciliter la diffusion et l'intégration des chercheurs au sein d'une branche spécialisée. L'anglais seul permet de simplifier la communication scientifique internationale.