Conjoncture

Le franc Barre, contre tous

Triste anniversaire pour Raymond Barre lorsqu'en septembre 1979 on célèbre la troisième année de son plan de redressement. Rarement Premier ministre n'avait réuni autant d'oppositions : presque tout l'éventail politique, y compris le RPR, à la seule exception de l'UDF ; tous les syndicats ; la presque totalité de la presse, même étrangère ; une grande majorité de l'opinion, puisque le sondage IFOP de ce mois-là donne moins de 30 % de « satisfaits » du Premier ministre et près de 60 % de « mécontents ».

Impopulaire

Les chiffres les plus spectaculaires sont accablants : les prix augmentent plus vite en 1979 qu'en 1976 ; le chômage est plus élevé ; le commerce extérieur est retombé dans le déficit, de même que le budget de l'État, sans parler de celui de la Sécurité sociale qui vient d'exiger en juillet 1979 des mesures particulièrement impopulaires de redressement avec une forte majoration des cotisations. Devant l'Assemblée nationale, le gouvernement a le plus grand mal à faire adopter le budget pour 1980 ; il n'y parvient qu'en forçant la main des députés de la majorité, contraints de choisir entre renverser le gouvernement, et provoquer ainsi une crise politique majeure, ou laisser passer le budget sans véritablement l'approuver.

Pourtant, un an plus tard, R. Barre est toujours là, avec des indices de prix et de popularité aussi mauvais. Malgré cela, il incarne une sorte de solidité à travers un mélange, inédit dans l'histoire politique de la France, de persévérance et d'entêtement, de désintéressement et de vanité, d'ignorance et de lucidité. La France s'est habituée au barrisme comme un malade s'habitue à une potion, sentant bien que, si elle est amère — d'ailleurs, l'est-elle autant qu'on le dit ? —, elle peut aussi être nécessaire et utile.

Au demeurant, les performances de l'économie française en 1979 n'ont pas été aussi mauvaises qu'on pourrait le craindre dans une année marquée par le deuxième choc pétrolier. La production nationale augmente autant qu'en 1978 (+ 3,4 %) ; ce qui constitue le meilleur résultat après celui de 1976 (+ 4,9 %) depuis le début de la crise, c'est-à-dire depuis 1974. Certes, le chômage a continué d'augmenter (1 362 000 demandeurs d'emplois fin 1979 contre 1 231 000 fin 1978), mais cela ne doit pas cacher que 100 000 emplois nouveaux (nets) ont été créés. La croissance de la consommation se ralentit par rapport à 1978 (+ 3,3 % au lieu de 4,4 %), mais elle reste soutenue. Les investissements des entreprises redémarrent enfin (+ 2,4 % contre + 2 % en 1978 et – 1,2 % en 1977). L'équilibre extérieur est, évidemment, affecté par la hausse du pétrole : – 13,2 milliards de F contre + 2,7 en 1978. Mais ce n'est pas pire qu'en 1977 (– 13,5 milliards de F) et c'est mieux qu'en 1976 (– 22,8 milliards de F), années pendant lesquelles il n'y avait pas eu de hausse sensible sur le pétrole. En outre, grâce à nos recettes de tourisme et à nos ventes de grands ensembles industriels à l'étranger (qui ne figurent pas dans la balance commerciale proprement dite), l'ensemble de nos opérations courantes avec l'étranger est encore légèrement excédentaire en 1979. D'ailleurs, les marchés des changes ne s'y trompent pas : le franc reste une monnaie solide.

Inflation

Les performances sur le front des prix ne sont pas très brillantes. Entre janvier et décembre 1979, le coût de la vie a augmenté en France de 11,8 %, c'est-à-dire moins qu'en Italie (+ 19,8 %), qu'en Grande-Bretagne (+ 17,2 %) et qu'aux États-Unis (+ 13,3 %), mais plus qu'en Suède (+ 9,5 %), qu'en Allemagne (+ 5,3 %), qu'en Suisse (+ 5,2 %), qu'en Belgique (+ 4,7 %) et qu'aux Pays-Bas (+ 4,6 %). Pourtant la hausse du pétrole a été la même pour tout le monde. En janvier 1980, la France bat même ses propres records en matière d'inflation, avec une hausse de l'indice des prix de 1,9 % sur un seul mois, ce qui ne s'était pas produit depuis vingt ans ! Il est vrai que le précédent recordman n'avait pas, lui non plus, mauvaise réputation dans la lutte contre la vie chère, puisqu'il s'agissait d'Antoine Pinay : R. Barre est en bonne compagnie.