Arts

Rétro... Rétrospectives

On pourrait, pour définir cette année artistique, parodier un jeu célèbre : si c'était un mot d'ordre, ce serait « en arrière » ; et si c'était un monument, ce serait l'« archéodrome », cette étonnante aire culturelle aménagée près de Beaune par la Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône et qui rassemble des huttes néolithiques, les fortifications d'Alésia et des temples romains en un joyeux Restoroute historique. Voici enfin réalisées, avec les moyens du siècle de l'automobile, les conditions de la contemplation esthétique définies par la duchesse de Guermantes à propos des Franz Hals de Haarlem (« quelqu'un qui ne pourrait les voir que du haut d'une impériale de tramway sans s'arrêter devrait ouvrir les yeux tout grands », À la recherche du temps perdu, « le Côté de Guermantes »).

Clés en main

Autoculture ou culture à péage sont des termes qui conviennent, en effet, parfaitement à cette soif d'expositions rétrospectives : tel Parisien qui ne mettra jamais les pieds dans la calme crypte du musée Marmottan, où il peut chaque jour à loisir admirer quelques dizaines de tableaux parmi les plus célèbres et les plus beaux que Monet ait peints, ira piétiner dans la foule du Grand Palais si on lui livre, clés en main, un panorama de l'œuvre.

Monet n'est que l'un des grands monstres, et l'un des moins discutables, que cette année aura reconstitués. Mais de la donation Picasso (Grand Palais, 12 octobre 1979-7 janvier 1980) aux floralies mondaines de Mucha — femme-fleur, femme-liane, femme-nouille — (Grand Palais, 20 février-28 avril 1980), que de décors de carton-pâte ! On n'est jamais si bien servi que par soi-même. Picasso avait soigneusement préparé quelques pierres de son monument futur : 1 855 tableaux, engrangés pour une bonne part dès avant la guerre dans les coffres de la BNP, et dont les meilleures pièces ont servi à ses héritiers à payer les 300 millions de F de droits de succession dus à l'État. Désormais le ministère des Finances est devenu, bien avant celui de la Culture, le principal pourvoyeur en œuvres d'art des collections nationales.

Aux fadeurs écologiques ou fétichistes du monde végétal de Mucha, on aura peu de mérite à préférer les Nymphéas de Monet, entreprise périlleuse qui oscille entre la tapisserie décorative et l'abstraite autobiographie esthétique, mais qui incarnait déjà pour Proust une des tentatives les plus réussies d'interpénétration des éléments du réel et des points de vue que l'on peut avoir sur lui.

Charme discret

Utilisation du passé encore dans les dernières manifestations de l'avant-garde américaine (galerie Daniel Templon, 27 janvier-28 février 1980) — architectures à la Brunelleschi de Ned Smyth, perspective des tentures Renaissance avec Brad Davis, tonalités étrusques chez Susan Rothenberg — ou, plus subtilement, dans les « œuvres sur papier » d'Alechinsky (Galerie Maeght, 18 mars-28 avril 1980) : factures bourgeoises, titres boursiers dévalués et réduits au statut de vignettes, documents princiers, tout le charme discret de l'écriture quotidienne, aussi dépouillée de sa finalité que la vierge romane du musée de Malraux, sert tantôt de catalyseur, tantôt de sujet, tantôt de prétexte au déploiement des arabesques d'un artiste fasciné par la calligraphie japonaise.

Mais cette archéologie de l'art culmine dans deux kermesses majeures, l'exposition Dali (Centre Georges-Pompidou, 19 décembre 1979 -14 avril 1980) et le centenaire de Viollet-le-Duc (Grand Palais, 20 février-2 juin 1980). Rien n'a manqué à l'apothéose de Dali : ni les parapluies de Lautréamont, ni la cuiller de 37 mètres de long des buveurs d'absinthe de Montparnasse, pas même le happening du vernissage, rendu impossible par la grève du personnel de Beaubourg.

Le bilan de cet alchimiste de génie (« Seul l'or m'inspire. Payez d'abord »), qui a définitivement installé la paranoïa comme un des beaux-arts, est à demander à Freud, qui le rencontra à Londres en 1938 : « Désormais il va falloir chercher le conscient chez les surréalistes et l'inconscient chez Raphaël. »