Journal de l'année Édition 1980 1980Éd. 1980

Synthèse

L'année du doute

Au premier regard, 1979-1980 peut apparaître en politique intérieure comme une année de transition. Pour une fois, la France ne se trouve pas en campagne électorale. Le gouvernement n'a, en théorie, pas d'obstacle particulier à franchir. Les mouvements sociaux ne se montrent pas assez puissants pour transférer sur leur terrain les épreuves de force qui n'ont pas lieu ailleurs. Ce pourrait être une année d'attente, de pause ou de réflexion. En fait, il n'en est rien. S'il n'y a pas d'enjeu politique immédiat d'importance, la perspective des élections présidentielles de 1981 pèse déjà lourdement sur les états-majors. Dans cette attente, s'esquisse une recomposition du paysage politique et même l'amorce du passage d'un système a un autre.

Depuis 1958, la France vivait dans un régime où s'imposait de plus en plus durement la loi majoritaire. Depuis 1978, pointe et se développe, au contraire, une propension nouvelle à une règle du jeu semi-proportionnelle. Au sein de chaque coalition, majorité et opposition, l'alliance roule et tangue de plus en plus fortement. À gauche, c'est carrément la tempête, mais, entre le RPR et le gouvernement, le temps, à force de fraîchir et de se dégrader, se rapproche chaque mois davantage de la bourrasque.

Chacune des quatre grandes familles politiques (PC, PS, UDF, RPR) pratique une stratégie de plus en plus solitaire. Ce jeu des quatre familles ne peut que s'accélérer au fur et à mesure que s'approche l'année de l'élection présidentielle, pour laquelle, dès juin 1980, chacun sait que les quatre formations politiques majeures soutiendront des candidats différents. Cette politique quadripolaire s'est déjà, tout au long de l'année, ostensiblement manifestée, tant au sein de la vie des partis qu'au cours des sessions parlementaires. Il y a donc là une première évolution.

L'impact croissant de la dimension internationale sur la vie politique intérieure constitue une seconde transformation. Elle n'est certes pas complètement neuve. Politique étrangère et politique intérieure n'appartiennent pas traditionnellement à deux univers qui s'ignorent. Depuis la crise économique, commencée en 1973, la pression des faits internationaux s'est faite beaucoup plus forte sur le théâtre politique intérieur. Mais 1979-1980 correspond à une étape nouvelle.

Aux problèmes économiques s'ajoutent, cette année, de brusques tensions diplomatiques et militaires. La révolution iranienne, l'enlisement des négociations israélo-égyptiennes et surtout l'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique réveillent les fantômes de la guerre froide. La détente est en cause. Elle devient sur-le-champ l'enjeu de très vives polémiques en politique intérieure. Elle aussi accentue brusquement les fissures au sein du bloc de l'opposition et de celui de la majorité. La politique étrangère du président de la République prend ainsi soudain figure d'objet prioritaire dans la controverse pré-électorale. Pour le chef de l'État lui-même, elle constitue une arme de plus en plus visiblement destinée à jouer un rôle prépondérant dans sa campagne personnelle. Pour chacune des quatre principales familles politiques, elle devient un thème de discussion devant lequel chacun doit, en hâte, redéfinir ses positions. Elle introduit une seconde modification d'envergure dans le paysage politique français.

L'inquiétude des Français

Devant ces alliances déchirées, ces partis querelleurs, cette situation économique et sociale angoissante et cette crise internationale qui laisse entendre désormais des cliquetis d'armes et des fracas belliqueux, les Français s'inquiètent. Ils voient un à un se désintégrer les schémas sur lesquels ils vivaient. La croissance, la prospérité, le progrès, la paix, la sécurité, la stabilité, la règle majoritaire, la simplification de la vie politique, autant de thèmes qui menacent de devenir obsolètes. S'y ajoute, de surcroît, un cortège de scandales, vrais ou faux, qui défraient la chronique quotidienne. Les accusations lancées tour à tour contre le Premier ministre et contre le président de la République, le suicide d'un ministre, le meurtre d'un ancien membre du gouvernement, l'affaire Broglie marquent l'année d'une série de pierres noires. Tout se ligue pour désenchanter les citoyens. 1979-1980, c'est donc l'année du doute.