C'est pourquoi le syndicat de l'architecture lance avec éclat, au début d'avril, une « consultation internationale » qui doit aboutir en novembre à la désignation d'un projet lauréat. Une sorte de concours pirate pour montrer l'exemple de ce que la ville aurait dû lancer elle-même.
Morceau de bravoure
L'église de Louis Arretche, à Rouen, est le morceau de bravoure architecturale de l'année. Dix ans après les premières esquisses qui déclenchèrent pendant plus de deux ans une querelle des anciens et des modernes, six ans après le début des travaux, l'aménagement de la place du Vieux-Marché est terminé : le président de la République inaugure le 27 mai le monument dédié à Jeanne d'Arc.
Dans l'église, de facture très nouvelle, ont été insérés les vitraux du XVIe siècle de l'église Saint-Vincent, détruite en 1944 (d'importants « dommages de guerre » ont d'ailleurs financé cette opération) ; à son chevet, les halles sont couvertes de toitures en écaille accordées aux courbes de l'église ; au nord, une place dallée en gradins ; au sud, mis au jour par les fouilles, les vestiges de l'église Saint-Sauveur devant laquelle fut dressé le bûcher ; devant l'église et la prolongeant comme une flèche horizontale, une galerie couverte d'ardoise, soutenue par une forte charpente de bois ; cette galerie du souvenir conduit au fond de la place où l'on a mis en scène des façades à pans de bois du XVIIe et du XVIIIe siècle récupérées ailleurs ; enfin, une croix monumentale rappelle le martyre de Jeanne, brûlée vive en 1431.
Refusant le néo-archaïsme, l'architecte a créé pour l'église des formes audacieuses inspirées de l'architecture navale : les deux coques, associées comme des mains pour la prière, ont une certaine force et frappent le promeneur qui vient de la célèbre rue du Gros-Horloge. De là à comparer l'ensemble à une carène renversée que viennent effleurer les vagues des hallettes attenantes...
La complexité du programme et la disparité des éléments ne semblent pas avoir été totalement maîtrisées. L'architecte voulait rassembler les données du projet « en un tout homogène d'une bonhomie tranquille et d'une franche unité de conception ». L'ardoise, le bois et le béton-pierre assurent en gros l'unité des matériaux. Mais l'encombrement de la place au sol (halles, gradins, champ de fouille) et la concurrence des formes pour l'œil nuisent à la pureté qu'appelait la silhouette audacieuse de l'église.
L'Amérique post-moderne
Quatre tours de bureaux, cylindriques, lisses comme des briquets, accrochées sur un hôtel, « le plus haut du monde ». L'ensemble du Renaissance Center, à Detroit (États-Unis), a l'ambition d'être un centre-ville à lui seul. Avec 4 millions d'habitants, Detroit est un peu la capitale-fantôme de l'automobile. Les sièges sociaux ont rejoint les usines, en banlieue. Au centre, la ville n'existe pas.
Le retour de Ford au bord de la rivière Detroit et la construction du Renaissance Center ressemblent à un acte de foi. Mais l'effet d'entraînement risque d'être limité, car le Renaissance a tout pour vivre sur lui-même : une luxueuse galerie marchande dans les sous-sols de l'hôtel ; des bureaux dans les quatre tours de 29 étages ; la promenade même, dans l'immense patio de l'hôtel qui occupe l'équivalent de huit étages, hall monumental traversé d'escalators, agrémenté de galeries, de jardins suspendus et de jeux d'eau. L'architecte John Portman, auteur des hôtels Hyatt de San Francisco et d'Atlanta, sait créer un « environnement » intérieur et a fait de cet hôtel de 73 étages autre chose qu'une machine à loger les congressistes.
Si J. Portman s'écarte un peu de la pureté et de l'austérité modernistes, d'autres architectes américains cultivent le goût paradoxal du kitsch. Application grandeur nature des idées exprimées par Robert Venturi dans un livre, Learning from Las Vegas, l'aménagement du quartier italien de La Nouvelle-Orléans par Charles Moore tient plus du gag que de l'œuvre d'architecture : colonnes doriques en inox soulignées au néon, dallage au sol reproduisant l'Italie et centré sur la Sicile (!), le tout signé par des portraits ironiques de l'architecte dans des médaillons façon Renaissance.