Synthèse
1978-1979 : la politique en miettes
Les élections législatives de mars 1978 avaient constitué à la fois une échéance décisive — la gauche pouvait gagner — et un sommet de la politisation des Français — on n'avait jamais tant voté sous la Ve République pour choisir une majorité à l'Assemblée nationale. L'année 1978-1979, au contraire, se déroule sous les signes jumeaux du dérèglement croissant du jeu politique et du fossé qui se creuse entre la vie politique et les Français.
La gauche battue sur le fil, la majorité rescapée, le président de la République bénéficiaire, sinon vainqueur, on passe visiblement d'une période à une autre. Après des années marquées par l'affrontement houleux de deux blocs, cette fois-ci les coalitions traditionnelles hésitent et menacent de se défaire. À gauche, la polémique s'institutionnalise, l'union n'est plus qu'une statue vieillie que l'on salue toujours, mais que l'on ne révère plus guère. Le PC fustige la social-démocratie et les mauvais démons qui la poussent toujours vers la collaboration de classe. Le PS refuse sèchement le procès qui lui est fait et, quand on s'approche de l'élection européenne du 10 juin 1979, critique à son tour, sans tendresse, la tentation du nationalisme au sein du parti communiste.
Dans la majorité, la discorde s'installe. Le RPR se montre de plus en plus critique à l'égard du gouvernement de Raymond Barre, de sa politique économique et sociale, de ses orientations européennes. Jacques Chirac va lancer en décembre 1978 son appel de Cochin, dénonçant violemment un « parti de l'étranger » qui ressemble comme un frère à une méchante caricature de l'UDF. L'élection européenne approchant, le ton montera là aussi, notamment en mars, au moment des élections cantonales et de la session extraordinaire du Parlement, en avril, lorsque Raymond Barre décide de soutenir la liste européenne UDF pro-gouvernementale menée par Simone Veil.
Bref, des deux côtés, dans chaque camp, la solidarité déjà vacillante se fissure davantage. Certes, le RPR continue à soutenir le gouvernement à l'Assemblée nationale, mais avec tant de critiques, de mises en garde et de mauvaise grâce que son appui ressemble de plus en plus à un sursis. Certes aussi, le PS et le PC, notamment au cours de leurs congrès respectifs, en avril et en mai, réaffirment leurs choix de principe en faveur d'une stratégie unitaire, mais c'est en affichant des positions dénoncées par leurs partenaires. En somme, s'il y a toujours des alliances formelles, il n'y a plus guère d'alliés réels.
Tout cela provoque évidemment des troubles au sein de chacun des grands partis. Au PC, les intellectuels contestataires ne se résignent pas à ce qui leur paraît un recul par rapport à l'ouverture antérieure. Au PS, les analyses divergentes, les querelles de tendance, les rivalités personnelles alimentent la chronique toute l'année durant. À l'UDF, les difficultés économiques persistantes inquiètent. L'amalgame entre les différents courants ne se fait que laborieusement. Et, si les résultats des élections cantonales et européennes, rassérènent, chacun constate que le statut de parti du président est souvent ingrat. Au RPR enfin, Jacques Chirac et son état-major doivent faire face à une contestation légitimiste à chaque fois que survient une nouvelle querelle avec l'exécutif ou une déception électorale.
Les préoccupations des Français
Devant ces divisions et ces remises en cause, les Français laissent percer un certain éloignement et même un détachement certain à l'égard de la vie politique. Ce qui les préoccupe, eux, c'est le chômage, la hausse des prix, les nouvelles augmentations des cours du pétrole, leur vie quotidienne. Le spectacle d'un théâtre politique déréglé engendre un malaise qui, peu à peu, affleure.
Le faible taux de participation aux élections européennes, le succès relatif qu'y remportent les écologistes, les signes de violence des autonomes ou des autonomistes (corses ou bretons) constituent autant d'avertissements. La société politique française paraît bloquée. Elle est surtout fragile.