Valéry Giscard d'Estaing est, sans doute, le moins gêné par cette nouvelle situation. Dès le mois de juillet 1978, il reprend en tout cas son double projet : faire avancer la construction européenne et normaliser peu à peu les relations entre l'exécutif et les partis d'opposition. Il se sert même du premier pour faire progresser le second. Il reçoit successivement les dirigeants de l'UDF (Jean Lecanuet et Roger Chinaud) et du RPR (Jacques Chirac et Claude Labbé), puis du PC (Robert Ballanger) et du PS (François Mitterrand et Gaston Defferre), afin de leur exposer ses intentions avant les sommets européens et occidentaux.
Les sommets de Brème (6-7 juillet 1978) et de Bonn (16-17 juillet 1978) se déroulent dans un relatif optimisme. À Brème, grâce à l'entente franco-allemande, on tombe enfin d'accord pour mettre sur pied, le 1er janvier 1979, un système monétaire européen. C'est une vieille idée de Valéry Giscard d'Estaing et d'Helmut Schmidt. La Grande-Bretagne, bien sûr, refuse de s'y associer, mais le chef de l'État français et son compère le chancelier fédéral ne cachent pas leur satisfaction. Au sommet des sept grands pays industriels occidentaux qui suit, on se met d'accord sans difficulté sur l'utilité de la relance et sur une action concertée contre le terrorisme. C'est un sujet qui ne manque pas d'actualité en France, où l'on ne se trouve pas dans la situation de l'Italie ou de l'Espagne, mais où des accès de violence contribuent à inquiéter.
La liberté pour les prix
Une politique économique néo-libérale se déploie. Elle est voulue par le président de la République ; elle est décidée par Raymond Barre ; elle est mise en œuvre par le ministre de l'Économie, René Monory. Ce quasi-autodidacte, jadis petit patron actif, fait figure d'original dans les cercles trop policés des milieux gouvernementaux. C'est un centriste résolu dans une majorité encore très marquée par le gaullo-giscardisme. C'est un provincial affiché parmi des Parisiens. C'est un homme qui croit à l'entreprise et à la concurrence, ce qui, rue de Rivoli, n'est pas banal. Il parle haut et clair, parfois trop haut, parfois trop clair. On voit l'empire Boussac se disloquer, Peugeot-Citroën prendre le contrôle de Simca-Chrysler France pour constituer un grand groupe privé face au géant nationalisé Renault. René Monory peut annoncer que la première étape de la libération des prix (le secteur industriel) est achevée et que la seconde (celle des services, de la distribution et du commerce) peut commencer. En septembre 1978, les structures de la sidérurgie — gravement malades — sont, elles aussi, bouleversées. C'est la fin des maîtres de forge. L'État et quelques grandes banques (surtout nationalisées) prennent le contrôle du secteur. Valéry Giscard d'Estaing explique à la télévision qu'il faut une industrie capable de gagner. C'est le grand thème gouvernemental.
Dans les deux camps, la discorde
Quant à la politique intérieure, elle se remet en route. Il y a d'abord toute une série d'élections législatives partielles consécutives à des invalidations. Elles s'égrènent tout au long de l'été. Bilan : deux sièges gagnés par le PS face à une vedette — Jean-Jacques Servan-Schreiber, en Lorraine — et à un vétéran de la majorité — Christian de La Malène, à Paris — et stagnation du PC. De quoi préoccuper la majorité, mais aigrir derechef les relations de la gauche.
Justement, dès le milieu d'août, le parti communiste, qui revendique le monopole de l'opposition pure et dure, a sévèrement admonesté les radicaux de gauche (qui n'y peuvent pas grand-chose) et le parti socialiste (qui n'y peut rien du tout) parce que Robert Fabre accepte une mission d'études sur les problèmes de l'emploi.
Pourtant, au même moment, le PC innove. L'Humanité, son baromètre quotidien, publie en bonnes feuilles la préface de Francis Cohen, intellectuel on ne peut plus officiel, à un livre collectif à paraître, L'URSS et nous. La préface n'est pas un chef-d'œuvre littéraire, le livre n'est pas un chef-d'œuvre politique, mais c'est la première tentative communiste d'analyse de la réalité soviétique qui sorte du registre de la révérence et de la dévotion. Le bureau politique lui donne un imprimatur officiel.