Social

Une période d'attente ponctuée de conflits durs

Des mesures immédiates réalistes, des projets à moyen terme ambitieux : c'est ainsi que le Premier ministre devait présenter le plan social du 19 juin 1974, venu compléter et contrebalancer les mesures économiques de lutte contre l'inflation du 12 juin. Plus que d'un habituel train de mesures sociales, il s'agit, selon Jacques Chirac, d'un « premier pas » dans l'engagement d'un « processus de transformation des conditions sociales ».

Le plan social s'inscrit dans une triple perspective :
– il s'agit d'abord d'honorer les promesses électorales de Valéry Giscard d'Estaing. De là les mesures à l'égard des personnes âgées et des titulaires de bas revenus ;
– en second lieu, il faut pour le gouvernement atténuer les conséquences de l'austérité annoncée une semaine plus tôt avec les mesures anti-inflation. La majoration des prestations familiales et sociales, qui représente au total 2,5 milliards de francs, fait même plus qu'effacer sur la consommation les effets attendus de l'augmentation exceptionnelle de l'impôt payé par les gros contribuables. Ainsi, ce qui doit être prélevé demain pour diminuer la demande globale est en fait injecté dès aujourd'hui dans les circuits de la consommation ;
– enfin, le programme social se présente comme le point de départ d'une « relance de la politique contractuelle et de concertation systématique » : le gouvernement explique ainsi le vague de ses propositions à moyen terme ; elles devraient être élaborées avec la participation des partenaires sociaux, les pouvoirs publics se contentant de fixer des points de repère et laissant à l'action contractuelle le soin de remplir le cadre tracé.

Toutefois, dès le départ le courant se révèle difficile à remonter : le président de la République a été trop présenté pendant toute la campagne électorale comme le candidat de la droite, les syndicats se sont trop engagés dans le combat de la gauche pour qu'un certain climat de confiance nécessaire à tout dialogue puisse s'instaurer facilement. Mais dans ce contexte la trêve des vacances est arrivée à point.

Accalmie

Le plan social ne modifie guère les rapports sociaux, n'alimente aucune stratégie à moyen terme, ne définit aucun modèle de société. Mais, par son réalisme et sa souplesse, il permet au président de la République de maîtriser dans l'immédiat la course de vitesse contre l'inflation et les tensions sociales.

La rencontre du 21 juin, ce Grenelle à froid (sur les lieux mêmes des discussions de mai 1968), ne doit pas faire illusion : elle est d'une autre nature. Jacques Chirac avait proposé un objectif : « aboutir à une synthèse des ambitions des parties concernées, afin de modifier les structures de la société ».

Bondissant sur l'occasion offerte, les syndicats tentent d'ajouter à l'ordre du jour prévu (emploi, conditions de travail, réforme de l'entreprise) toutes les revendications en suspens : salaire minimal, retraites, durée du travail, immigrés, libertés syndicales, vie chère. L'important pour eux est de maintenir la porte ouverte, même s'ils n'attendent aucun résultat immédiat.

Mais leur conversion à la méthode contractuelle ne risque-t-elle pas de conduire à terme à une « démobilisation des travailleurs » ? Ils savent qu'à quelques semaines des vacances le moment n'est pas à l'action et que, après avoir demandé aussi souvent à négocier, ils auraient mauvaise grâce à refuser.

Autant de raisons pour qu'on s'emploie activement au CNPF et au gouvernement à déminer un terrain explosif. Des discussions sont en cours sur l'aménagement des licenciements collectifs (aide financière accrue pour maintenir le salaire antérieur jusqu'au nouvel emploi, ou encore organisation préventive des reclassements dans les entreprises en difficulté par des commandos paritaires spécialisés). Après des mois de négociations, l'accord cadre sur les conditions de travail doit être proposé aux syndicats, avant de passer aux discussions par branche et par entreprise. Enfin, le patronat se déclare prêt à discuter des problèmes spécifiques comme les retraites ou la formation permanente pour améliorer les systèmes actuels. Bref, la machine contractuelle tourne à plein régime. Avant un automne que tout le monde prévoit difficile, autant déblayer au maximum le terrain revendicatif pendant que le climat s'y prête.