Une unité d'ammoniac, une autre de caprolactame (nécessaire à la production du Nylon) tombaient en panne en Grande-Bretagne. Deux gigantesques vapocraquages (qui donnent l'éthylène utilisée dans les fibres et les plastiques) se trouvaient dans une situation identique au Japon. Ces quelques grains de sable allaient gripper toute la machine de l'industrie chimique mondiale.

Hausse

La chimie est en effet mondialisée, chaque producteur a ses spécialités et dépend d'autres producteurs pour une large gamme de produits. De plus, en quelques mois la situation du marché s'est complètement retournée, les commandes ont afflué, le tout face à une offre d'autant plus réduite que personne n'avait sérieusement investi depuis deux ans. D'un marché où les acheteurs faisaient la loi, on était passé à un marché de vendeurs.

Conséquence inévitable : dès l'été 1973, une envolée de la plupart des prix. Là-dessus est venue s'ajouter la guerre du Kippour, l'embargo sur le pétrole arabe, les hausses du brut décidées par les Arabes à Koweït puis à Téhéran. D'où une nouvelle et brutale hausse des prix en mai, passés de 100 à 530 francs la tonne pour le naphta (résidu de la distillation du pétrole qui sert à la production de l'éthylène et du benzène), de 1 000 à 5 000 francs la tonne de benzène, de 2 000 à 6 000 francs la tonne de polyéthylène (plastique ordinaire), de 5 500 à 9 500 francs la tonne de fibre polyester.

Ces hausses de prix ont été de pair avec une réduction momentanée des livraisons dans certains secteurs, les fabricants faisant valoir qu'ils ne pouvaient pas fournir, faute de matières intermédiaires comme le caprolactame, ou de matières de base comme le naphta, dont la production était prétendument freinée par l'embargo pétrolier.

En fait, en même temps que leurs clients, qui craignaient de nouvelles hausses de prix en 1974, passaient des commandes de précaution (d'engrais notamment), les chimistes stockaient et hésitaient à livrer, préférant attendre une valorisation maximale de leurs stocks avant de les mettre sur le marché.

Les pétroliers ont ainsi stocké leur brut, les pétrochimistes leur naphta, les chimistes leur éthylène ou leur polyéthylène. À une pénurie structurelle (dans le benzène par exemple) s'ajoutait une pénurie de circonstance, liée à la prudence des fabricants. En décembre 1973, par exemple, la production française de polyéthylène basse densité a baissé de 20 % par rapport au mois précédent, celle d'un autre plastique courant, le PVC, de 15 %. Dans tout cela, l'embargo pétrolier n'a servi que de prétexte : en fait, le pétrole et les produits pétroliers n'ont jamais vraiment manqué au point de pouvoir provoquer une telle baisse.

Bénéfices

Le retournement de la conjoncture en leur faveur, les fortes hausses de prix, la politique de stockage ont permis aux entreprises chimiques de dégager, en 1973, des bénéfices records. Elles en avaient bien besoin après les marasmes des années 1970-1971.

Autre confirmation d'une année remarquable, malgré les contraintes des derniers mois, l'augmentation de la production : 16,5 % dans l'ensemble, dont 9,2 % pour la chimie minérale, 22,8 % pour la chimie organique (un record), 8,6 % pour la parachimie (les peintures, les pesticides et les produits divers), 12 % pour les fibres synthétiques. Ainsi les uns et les autres ont tout de même réussi à livrer. Non sans avoir imposé de nouveaux prix à leurs clients.

L'année 1974 a démarré dans la foulée de 1973 : une demande encore très soutenue, des prix fermes, des entreprises qui travaillent à pleine capacité. Et l'écoulement de stocks considérablement réévalués devrait permettre aux entreprises de maintenir des marges confortables. Cela dit, plusieurs secteurs risquent de subir un tassement de leur expansion. Certaines industries clientes de la chimie (le bâtiment et l'automobile) vont ralentir leurs commandes sous l'effet d'une baisse d'activité. L'effet se fera sentir sur les mousses plastiques, les revêtements muraux, les peintures notamment. Les paysans, constituant en 1973 des stocks d'engrais considérables, en ont largement stimulé la production : là aussi un ralentissement est à prévoir. Et l'emballage en plastique jetable ne risque-t-il pas de régresser ?