Spectacles

Théâtre

Une saison inégale mais mieux structurée

Si l'on se fondait sur la feuille des recettes, qui est au théâtre ce qu'est la liste des best-sellers pour les livres, on jouerait une fois de plus le Boulevard gagnant. La cage aux folles, de Jean Poiret, détient pour cette année encore le record de fréquentation, suivie de peu par Le tournant de Françoise Dorin, La valse des toréadors de Jean Anouilh, dont la reprise bénéficie du numéro de Louis de Funès, et Une rose au petit déjeuner des inusables Barrillet et Grédy.

Survie

Comme en politique, malgré les crises et les courants nouveaux, la bourgeoisie maintient ses positions et conserve son goût pour une certaine facilité digestive, ou, disons, récréative. Mais, de même que Guy des Cars et Henri Troyat ne sont pas très représentatifs de la littérature moderne, on ne s'arrêtera guère à ces réussites commerciales, nécessaires à la survie des salles privées.

La création véritable est ailleurs, et on ne cherchera pas ici des indications sur l'évolution de l'art dramatique. On notera cependant que le public de ce théâtre de divertissement commence à sortir un peu du ghetto boulevardier pour s'intéresser à des œuvres plus riches et plus fortes. À cet égard, le succès d'Harold et Maude, des Conversations dans le Loir-et-Cher, de Turandot, de Dreyfus, de Butley (nous y reviendrons) laisse espérer un relatif changement dans la mentalité des spectateurs moyens, pour qui la nouveauté n'est plus forcément synonyme d'ennui. Cela tient en partie à une meilleure structuration de la saison théâtrale, dont le cadre est plus net, dans des lieux mieux définis. Ainsi les festivals jalonnent-ils l'année, avec leurs caractères propres, tandis que les grandes troupes, pour la plupart subventionnées, imposent un style à elles, de mieux en mieux connu et apprécié.

Ainsi, on peut dire que la saison, désormais, ne commence plus en septembre, comme jadis, mais vers juillet-août, à Avignon. C'est là que les amateurs (on les compte par milliers, venus de la France entière) ont retrouvé la générosité lyrique de Marcel Maréchal, au service de son maître Audiberti. Son Cavalier seul, magnifique festival du verbe et de la fantaisie poétiques, avec parfois des échappées visionnaires qui font songer à un Claudel sans dieu, nous aura rappelé qu'Audiberti va rester parmi les classiques de ce temps.

Cervantes y a sa place lui aussi (il n'est d'aucun temps, comme les génies), mais l'œuvre un rien laborieuse qu'a tiré de son Don Quichotte l'écrivain Serge Ganzl n'a pas les qualités d'un chef-d'œuvre. Dans la mise en scène un peu timide de Gabriel Garran, l'animateur du théâtre d'Aubervilliers accueilli lui aussi à Avignon cet été, cette pièce ne valait que par l'interprétation rêveuse, très attachante, de Rufus, chevalier à la triste figure un rien désarmé devant la méchanceté du monde. Quant à l'Onirocri d'Antoine Bourseiller, monté de Marseille, peut-être vaut-il mieux oublier sa confusion ; on finit par se perdre à trop vouloir prouver.

Audaces

La vraie nouveauté, la jeunesse, on la rencontrait plutôt dans le festival Off, qui tourne maintenant à l'institution et occupe toutes les chapelles désaffectées de l'ancienne capitale des papes. Parmi une centaine de spectacles (c'est dire la vitalité du théâtre en France), on citera pour mémoire, à titre d'exemple, le beau travail collectif de la compagnie de la Salamandre, qui présentait La vie de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Une troupe qui fait ses débuts, et dont on devrait entendre parler ces prochaines années. Autre institution récente, et parisienne : le Festival d'Automne, dirigé par Michel Guy, nouveau secrétaire d'État aux Affaires culturelles. On lui doit, dans des lieux aussi divers que le sous-sol du Palace, l'ancienne Gaîté-Lyrique ou la Sainte-Chapelle, des soirées plus qu'intéressantes. C'est en particulier à son initiative qu'a été présentée à Paris la fameuse Dispute de Marivaux, revue et même rêvée, pourrait-on dire, par Patrice Chéreau. Si certains ont contesté les principes et les audaces de cette mise en scène très lente, très sophistiquée, comment ne pas en louer l'extraordinaire beauté, dont une part revient au décorateur Peduzzi, il est vrai. Et les partisans inconditionnels de Chéreau (auxquels on nous pardonnera de nous joindre) ajouteront que cette imagerie sensuelle, prodigieusement révélatrice, restera pour eux la grande émotion, le grand choc de l'année 1973.