Le gouvernement cantonal suggère, lui, un projet de régionalisation. Des associations de communes – selon les affinités géographiques ou économiques – se formeraient librement. Mais, intéressante du point de vue de l'aménagement du territoire, cette solution ne répond nullement aux vœux des séparatistes jurassiens. La petite patrie est, à leurs yeux, une entité historique dont les frontières ne coïncident pas avec les limites des éventuels syndicats de communes.
Difficultés paradoxales au moment où l'Europe se consolide et où la Confédération, sans renoncer à sa neutralité, cherche les voies et moyens d'une collaboration plus étroite avec ses voisins.
Après des mois de dures négociations, elle signe, le 22 juillet 1972 à Bruxelles, un traité de libre-échange avec la CEE. Le démantèlement des tarifs douaniers, échelonné sur cinq ans, touchera 90 % des exportations suisses. Un grand débat juridico-politique s'ensuit, non sur le traité lui-même, mais sur l'opportunité de le soumettre à la ratification du peuple et des cantons. Le Parlement répond par l'affirmative, et, le 4 décembre, une majorité considérable – 1 345 000 « oui » contre 509 000 « non » – se dégage en faveur de cette première amarre lancée vers les Neuf.
Diplomatie
Pour d'autres raisons encore, les diplomates suisses ont beaucoup de travail. Berne reconnaît la République démocratique allemande et le Bangla Desh, avec lesquels on échange des ambassadeurs. À Helsinki, les États réunis pour la conférence préparatoire sur la sécurité européenne accueillent favorablement un projet de Berne : une procédure d'arbitrage et de conciliation dans les différends internationaux. Pour la première fois, un membre du gouvernement suisse se rend en visite officielle à Moscou, et Pierre Graber, ministre des Affaires étrangères, visite, en mai 1973, l'Égypte, non sans avoir accepté une autre invitation : celle d'Israël.
La Suisse signe la Convention européenne des droits de l'homme. Sous une réserve néanmoins : que les citoyens approuvent l'abrogation de deux articles constitutionnels vieux d'un siècle et quart et discriminatoires à l'égard des jésuites et des couvents. Le suffrage féminin – cet autre grain de beauté de la démocratie helvétique – n'est plus un obstacle : il se généralise au point que, seuls, deux demi-cantons (ceux d'Appenzell) le refusent toujours. En mai 1972, on avait vu pour la première fois, à Glaris, une landsgemeinde à participation féminine.
Armée
Dans l'ajustement de ses rapports avec l'étranger, la Suisse connaît de rudes conflits de conscience. Traditionnellement, elle exporte des armes, et ce commerce aujourd'hui n'a pas bonne presse. Une initiative demande l'interdiction absolue de vendre à l'étranger canons, fusils, munitions et tout matériel militaire. Le peuple la refuse de justesse, mais le gouvernement devra tenir compte de la très forte minorité qui s'est manifestée en faveur de l'interdiction. Ayant présenté déjà un contre-projet assez restrictif, il applique des contrôles si sévères que, six mois plus tard, une grande fabrique d'armes fait savoir : « Investir en Suisse n'a plus de sens. »
Le plus soucieux des conseillers fédéraux est sans conteste Rudolf Gnägi, chef du Département militaire. Sa décision de supprimer la cavalerie et de recycler les dragons dans les chars provoque un énorme tollé dans les campagnes et parmi beaucoup de citadins. Une pétition demande le maintien du cheval dans l'armée ; elle se revêt de 432 000 signatures. Mais le Parlement refuse de s'incliner et signe l'arrêt de mort. Une initiative populaire va néanmoins relancer l'affaire.
Il y a aussi des rumeurs dans les airs. La Suisse cherche un nouvel avion de combat. Une procédure d'évaluation, d'une longueur et d'un coût excessifs, avait permis de sélectionner deux candidats : le Corsair américain et le Milan français. Divisé, le gouvernement ajourne plusieurs fois son choix, puis l'élude : on n'achète rien, et on reprend tout à partir de zéro. Des appareils italiens, britanniques et suédois se mettent alors sur les rangs.