Après une année de silence, l'ex-dauphin Lin Piao est officiellement déclaré mort et enterré politiquement. Des documents jusque-là secrets révèlent le complot raté.
Dégel
À l'inverse, d'anciens cadres rééduqués sont réhabilités, dont quelques vedettes comme l'ancien directeur du Quotidien du peuple et de l'agence Chine nouvelle, Wu Leng-hsi, et surtout l'ex-secrétaire général du Parti, Teng Hsiao-ping, vice-Premier ministre disparu depuis six ans après avoir été dénoncé, avec Liou Chao-chi et Tao Chu, comme l'un des renégats du trio à abattre.
Partout le dégel continue : les syndicats commencent à reprendre leurs activités, les salaires les plus bas sont augmentés, les jeunes peuvent tenir congrès en rappelant la nécessité du travail manuel. L'utilité du culte de la personnalité s'estompe : sur les calendriers, l'anniversaire de Mao n'est plus souligné en chiffres rouges. Chou En-lai, 75 ans, annonce une direction collégiale de l'État et avance quelques noms de jeunes quadragénaires dont Yao Wen-yuan, que l'on dit gendre de Mao, et Chang Chun-chiao.
Ce n'est pas un hasard si tous deux sont d'actifs dirigeants du Parti à Chang-hai dont l'importance est ainsi reconnue, la plus grande métropole chinoise supportant mal, parfois, la tutelle de la capitale.
L'économie progresse, l'agriculture se modernise, les échanges extérieurs se développent. Jamais la Chine n'a autant acheté d'avions militaires et civils : à la Grande-Bretagne, aux États-Unis et à la France (puisque la commande de trois Concorde n'a pas été annulée). Plusieurs lignes intercontinentales sont ouvertes dont Pékin–Addis-Abeba, porte chinoise de l'Afrique, et, vers l'Europe, le Paris–Pékin d'Air France. Les experts étrangers vantent les progrès des missiles et des ordinateurs. Avec plus d'urgence s'impose la maîtrise du développement. Et d'abord le risque de surpopulation : pour la première fois, un représentant de la Chine à l'ONU avance le chiffre de 750 millions d'habitants (500 à l'avènement du régime + 50 % en 23 ans).
Ouverture
La diplomatie du Ping-Pong continue : à Pékin, des contacts avec les dirigeants des fédérations internationales de sports semblent annoncer la participation de la Chine aux jeux asiatiques de 1974, en Iran, et surtout aux jeux Olympiques de Montréal, en 1976. Cependant c'est au jeu de la diplomatie tout court que l'expert no 1 Chou En-lai poursuit son offensive tous azimuths.
D'abord à l'ONU, qui installe un centre d'information à Pékin (où est reçu son secrétaire général avant le directeur de l'UNESCO), puis celui de la FAO dont la Chine devient le 126e membre. Par sa contribution élevée à 7 % au budget des Nations unies, elle se place au troisième rang après les États-unis et l'URSS, mais elle fait sentir le poids de sa présence (par exemple en opposant son veto à l'admission du Bengla Desh).
Un poids augmenté par la liste toujours plus longue des pays qui reconnaissent le régime de Mao. En Europe, tous sauf trois : Portugal, Irlande et Vatican malgré les contacts discrets pris par les jésuites, vieux habitués du Céleste Empire. Dans cette bousculade, les plus petits sont volontairement traités avec les mêmes égards que les plus grands. Ainsi le ralliement du grand-duché de Luxembourg est salué avec satisfaction, et le président Nixon n'a pas eu droit à un banquet plus prestigieux que celui offert au ministre des Affaires étrangères de la mini-république de Saint-Marin.
Ces bras ouverts à presque tous étonnent les maoïstes occidentaux lorsqu'il s'agit de l'Espagne de Franco, de la Grèce des colonels, du play-boy-ministre des Affaires étrangères de l'île Maurice, de Peron officiellement invité lors d'une visite de sa femme, et même de l'impératrice Farah, bien que, derrière elle, se profilent le monde musulman et celui du pétrole. Tandis que, reçu avec un faste égal, le président du Mexique donne à Chou un bon prétexte pour se mêler des affaires du continent américain.
Cependant, malgré l'embarras du choix, le Premier ministre chinois doit apprécier plus que les autres les ralliements de ses deux plus importants partenaires commerciaux : l'Allemagne fédérale, ouverture sur une Europe échappant autant que possible à l'influence soviétique, et, surtout, le Japon.
Égards
L'Occident mesure mal encore l'importance de l'événement, mais 1973 restera, pour Pékin et Tokyo, l'année historique de la réconciliation réaliste entre les deux vieux ennemis héréditaires. Pour effacer le passé et tenter de retrouver un espoir qui tient en trois mots, l'Asie aux Asiatiques, le Japon a même admis de changer de gouvernement, et le nouveau Premier ministre-homme d'affaires Kakuei Tanaka est reçu à Pékin avec des égards particuliers, l'échange d'ambassadeurs, entre autres, aussitôt suivi de l'installation d'un relais permanent de communications par satellite Pékin–Tokyo. Dans le même temps, Australie et Nouvelle-Zélande ne peuvent plus que rejoindre le nouveau club du Pacifique. La paix intérieure et les succès extérieurs permettront peut-être à Chou En-lai de réaliser les projets de grandes tournées de relations publiques que l'on continue à lui prêter : Tokyo, Afrique noire, monde arabe, Washington même, dès que Formose sera récupérée.