La menace, pour la Ligue, semble venir plutôt du PSN, qui rassemble 200 000 personnes le 24 décembre à Dacca. Il dénonce le mujibisme et lui oppose le socialisme scientifique (sans en donner de définition). Le PSN réunit ouvriers, paysans, étudiants surtout, déçus par les gens au pouvoir, « plus corrompus que les Pakistanais ». Ses militants ont combattu dans les Mukti Bahinis, dont le président, le commandant Jaleel, est un héros de la résistance.
M. A. Jaleel échappe à deux attentats pendant la campagne électorale. Les affrontements entre partisans de la Ligue et opposants ne se comptent plus ; incendies, enlèvements, assassinats se succèdent.
L'opposition dénonce l'usage par le parti gouvernemental d'une somme de 30 millions de francs prise sur les fonds publics. Mais rien n'y fait : ni l'influence de M. Ahmed, ni le prestige de A. H. Bashani, ni l'allant du PSN. Le petit peuple ne connaît que Mujib.
Contrebande
« Je me suis fixé comme tâche de libérer le peuple de la faim et de la misère » : ce parti de Mujib, le même que font I. Gandhi et A. Bhutto, apparaît le plus utopique des trois. Car le Bangla Desh en est au même point que lors de l'indépendance, un an et quatre mois avant. Dacca doit importer 3 millions de tonnes de céréales. On manque de péniches pour les distribuer ; la voie ferrée n'est pas rétablie entre Dacca et Chittagong en avril 1973.
Mal approvisionnées, mal gérées, les usines tournent au ralenti. Ainsi pour le jute, qui fournit 90 % des devises au Bangla Desh, et dont la production subit les effets de la mévente mondiale due aux matières synthétiques. Dans le budget 1971-72, le manque à gagner atteint 910 millions de francs.
La malnutrition menace 50 000 enfants à Dacca, signale en avril 1973 l'OMS ; les épidémies ont tué plus de 3 000 personnes en six mois. Pour compenser le sous-emploi, le gouvernement augmente le salaire minimal de 75 à 100 F par mois en juillet 1972 et exempte d'impôts les petits paysans. Le riz importé, le relogement de 30 millions de sinistrés, la remise en marche du pays absorbent la totalité (5 milliards) de l'aide 1972 des Nations unies, qui rechignent à fournir davantage.
La hausse moyenne (+ 300 % depuis l'indépendance) des denrées de première nécessité, comme le riz ou le jute, sont, pour une bonne part, la conséquence du marché noir et de la contrebande vers l'Inde qui continue. La foule, ici, pille un entrepôt, là, verse un sac de riz sur un collecteur après lui avoir ouvert le ventre. L'homme appartenait à la Ligue awami, dont le sigle, AL, est traduit par Association of looters, association de voleurs.
Mille cinq cents de ses partisans au moins sont tués par des paysans avant que le gouvernement se décide à agir.
Dix-neuf députés sont exclus du parti en septembre 1972. Une centaine d'autres sont sur la sellette (le quart de l'Assemblée), sans compter des personnes de l'entourage du Premier ministre dont on murmure le nom. Plus de 1 000 contrebandiers sont arrêtés le 1er novembre et des visas sont désormais exigés des Indiens entrant au Bangla Desh.
Donateurs
« Protectorat indien » : M. Rahman proteste contre cette accusation du maulana Bashani. Dacca ne peut pas faire moins pour un voisin dont le programme d'aide en 1972-73 aura été de 1,37 milliard de francs. Les États-Unis fournissent 1,8 milliard (le tiers de l'aide internationale au Bangla Desh), pressés de rattraper le temps perdu, non sans maladresse. L'opposition dénonce l'installation d'un institut de recherche pour 1 000 étudiants avec des crédits de la CIA. Trois centres d'information américains sont incendiés, Richard Nixon brûlé en effigie à Dacca.
Troisième donateur (500 millions), l'URSS s'attarde à Chittagong, avec 25 navires et 1 000 marins, après avoir dégagé les épaves du port. Dans les couloirs de l'hôtel Intercontinental à Dacca se croisent diplomates américains et soviétiques, agents de la CIA et du KGB. Dans ce nouveau Tanger où chacun s'observe, il ne manque que la Chine, qui, par fidélité au Pakistan, n'a pas reconnu le Bangla Desh. Elle a bloqué son admission à l'ONU le 25 août 1972 en usant pour la première fois de son droit de veto.