Pratiquement, les mesures immédiates devaient consister à réduire les marges de fluctuation entre les monnaies européennes (de 0,75 à 0,60 %), à resserrer les consultations sur l'élaboration des budgets de chaque État, à prévoir une cagnotte de 2 milliards de dollars pour venir en aide à tout État membre en difficulté ; ultérieurement, à harmoniser les fiscalités et à libérer les mouvements de capitaux. Mais il était entendu que l'on reverrait tout cela en 1975. Et, à cette date, ceux qui jugeraient que l'union économique et monétaire n'a pas porté ses fruits pourraient s'en retirer, c'est-à-dire, pratiquement, la faire disparaître. En cas de réussite, la construction complète de l'union économique et monétaire devait être achevée dans les dix ans.
L'accord du 9 février fixait un objectif lointain très ambitieux avec une première étape très modeste, sans rien dire sur le rythme et la manière avec lesquels on passerait de l'une à l'autre.
Or, le mécanisme s'enraya avant même d'avoir véritablement fonctionné. En annonçant, le 5 mai, que le mark n'avait plus de parité fixe, le gouvernement allemand rendait impossible la réduction des marges de fluctuation entre les monnaies européennes, réduction qui devait être le signal de l'union monétaire, le 1er juillet. Certes, d'autres aspects du programme prévu dans l'accord de février étaient réalisés parallèlement. C'est ainsi qu'en juin les ministres des Finances des Six ont effectivement examiné collectivement les projets de budget de chaque État. Mais le cœur n'y était pas. Chacun sentait bien que la décision allemande, prise pour des motifs internes et non pas pour déchirer l'accord de février, avait allumé un feu rouge sur la voie de l'union économique et monétaire.
La Communauté menacée
Ce n'était d'ailleurs pas ses seuls effets. La flottaison du mark ne faisait pas seulement courir des risques à cette union nouvelle ; elle menaçait la Communauté tout entière, y compris dans ce qui fonctionnait déjà. Les deux piliers du Marché commun ont été, jusqu'à présent, l'union douanière et la politique agricole. Or, ni l'une ni l'autre ne pourraient résister longtemps à l'absence de parité fixe entre les monnaies de la Communauté. En effet, si la valeur de chaque monnaie varie, chaque jour, en fonction de l'offre et de la demande, et au gré des interventions de banques centrales, cela veut dire que plus personne ne sait à quel prix il achète ou il vend des produits. À la limite, un gouvernement pourrait, en manipulant son taux de change, recréer l'équivalent de droits de douane pour freiner les achats chez le voisin : il lui suffit de faire baisser artificiellement le cours de sa monnaie ; à ce moment là, les produits étrangers coûtent plus cher pour ses nationaux. Et inversement, s'il veut décourager les ventes à l'étranger. Quant à la politique agricole, étant basée sur des prix communs à tous les pays, elle suppose, par construction, que chaque monnaie ait une valeur constante.
Au moment précis où la Communauté s'élargit vers l'extérieur (non seulement aux Anglais, mais aussi aux Irlandais, aux Danois et sans doute même aux Norvégiens), elle s'affaiblit à l'intérieur. Tant et si bien que le problème qui se pose aujourd'hui n'est plus de savoir si les Anglais entreront ou pas dans la Communauté, mais dans quelle Communauté ils entreront. Et ce problème se poserait tout autant s'il n'était pas question d'adhésion de nouveaux membres.