Journal de l'année Édition 1971 1971Éd. 1971

Toutefois, des modalités particulières ont été prévues pour protéger certains intérêts du Commonwealth. C'est ainsi que pendant les dix ans à venir la Grande-Bretagne pourra continuer d'acheter son sucre à la Jamaïque, aux îles Maurice et aux îles Fidji, sans être pénalisée. De même, elle continuera pendant un certain temps (le délai n'est pas fixé avec rigueur, on en reparlera en 1976) à se fournir en beurre et en fromage en Nouvelle-Zélande. Ce fut un des points les plus délicats de la négociation.

– Le dossier financier a été le plus complexe. Les Anglais ne voulaient pas avoir à payer une cotisation trop forte à l'entrée dans le Marché commun. Or, le montant de cette cotisation est étroitement lié à la politique agricole. Il était convenu, en effet, entre les Six, que la Communauté aurait désormais des ressources propres pour financer un budget global qui s'élève actuellement à 17 milliards de francs (soit, environ, 10 % du budget de l'État français). Ces ressources sont : d'abord les prélèvements agricoles (c'est-à-dire ce qu'un importateur de la Communauté doit payer lorsqu'il achète ses produits agricoles en dehors du Marché commun) ; ensuite, l'ensemble des droits de douane perçus à la frontière de la Communauté ; enfin, une fraction des ressources fiscales nationales (1 point de TVA). Le système doit entrer en application progressivement d'ici à 1975. Les Anglais étant de gros importateurs, notamment de produits agricoles, la note risquait d'être lourde à payer. Comme, d'autre part, la plus grande partie du budget de la Communauté (94 % des dépenses, à l'heure actuelle) sert à aider l'agriculture et que les Anglais ont beaucoup moins d'agriculteurs que les autres pays, ils seraient à la fois ceux qui payent le plus et ceux qui reçoivent le moins.

Initialement, ils ne voulaient payer, à la date de leur entrée, que 3 % du budget communautaire. Finalement, ils en paieront 8,6 % la première année, 19 % la cinquième année (c'est-à-dire à la fin de la période transitoire) ; ils seront ensuite au régime commun, ce qui pourrait les conduire à payer environ 25 %, à moins qu'ils n'achètent beaucoup de marchandises dans le Marché commun et peu au-dehors. Toutefois, il a été entendu qu'en 1978 et en 1979, si la situation de la Grande-Bretagne le justifiait, des aménagements pourraient encore être apportés à la contribution britannique.

– La livre sterling ne faisait pas, officiellement, partie de la négociation, mais la France en avait fait un test de la volonté des Anglais de devenir de vrais Européens. C'est pourquoi le gouvernement de Londres s'est engagé, dans une déclaration officielle, à renoncer au rôle de monnaie de réserve pour la livre.

Cela signifie, en particulier, que les créances détenues à l'étranger, en livres (ce que l'on appelle les balances sterling), seront d'abord stabilisées (elles représentent environ 10 milliards de dollars, c'est-à-dire deux à trois fois les réserves de change de la France), puis remboursées. Mais on ne sait comment.

À vrai dire, une fois que les Anglais seront dans le Marché commun, le problème de la livre s'intégrera dans le problème plus général de l'unification monétaire de l'Europe. Or, sur ce point, l'année 1970-71 aura été celle des espoirs déçus.

L'Europe monétaire

Après de longs mois de discussions difficiles, les Six se mettent d'accord, le 9 février 1971, pour créer une Union économique et monétaire décrite en ces termes : « L'Union économique et monétaire signifie que les principales décisions de politique économique seront prises au niveau communautaire et donc que les pouvoirs nécessaires seront transférés du plan national au plan de la Communauté. Son aboutissement pourra être l'adoption d'une monnaie unique qui garantira l'irréversibilité de l'entreprise. »

En réalité, ces propos ambitieux dissimulaient un laborieux compromis entre la France d'une part, qui voulait une union monétaire pour consolider la Communauté avant l'entrée des Anglais et face au dollar américain, et l'Allemagne, d'autre part, qui craignait (étant la plus riche) d'avoir à soutenir les autres monnaies et qui mettait en avant la création d'une union économique, pour décourager les Français, hostiles à toute supranationalité.