Quant à Marcel Maréchal, dans le même théâtre, il nous aura donné un Roméo et Juliette bouffon, volontairement fondé sur le contresens et de hasardeuses analyses socio-historiques ; un beau chahut, comme il les aime, a salué la tentative contestable de l'animateur lyonnais. Ce genre de gauchissement, pour intéressant qu'il soit, ne semble pas approprié au public non prévenu des théâtres populaires.

Au reste, celui-ci traverse une crise assez grave. Les associations de spectateurs, qui en forment le noyau, choisissent désormais les spectacles en fonction des avis de la presse écrite et parlée. Finis les abonnements automatiques et les enthousiasmes sûrs d'une assistance conditionnée.

Les malheurs de Wilson

Georges Wilson en a fait cette année l'amère expérience dans la grande salle du palais de Chaillot, à demi déserte certains soirs, ce qui ne s'était jamais vu depuis la création du TNP.

Early morning, du Britannique Edward Bond, était-ce une pièce trop difficile ? Il est certain, en tout cas, que cette charge de la monarchie victorienne avait de quoi surprendre les plus avertis, et le dernier acte, qui semblait hésiter entre le cannibalisme et l'équarrissage pour tous, n'éclairait guère les bizarreries du début. Une distribution fort brillante (Maria Casarès, Françoise Brion, José-Maria Flotats) ne pouvait pas imposer à elle seule l'invraisemblable.

Avec Tom Paine, de facture plus lisible, Georges Wilson a joué de malheur. L'ouvrage de l'Américain Paul Foster, créé dans un petit théâtre de New York, n'a pas supporté la transposition sur une scène trop vaste pour lui. Écrasé par le faste, la figuration, le décor, il n'en restait plus que la maigre biographie d'un ivrogne. Le directeur du TNP n'aura pas eu plus de chance avec l'Irlandais Conor Cruise O'Brien, dont les Anges meurtriers prétendaient mettre en parallèle les destins exemplaires de Dag Hammarskjöld et de Patrice Lumumba, champions de la paix et de la liberté. Il faut se méfier des trop beaux sujets, qui ont des allures de tragédie politique, mais demandent un Shakespeare pour les traiter... Ce diplomate, improvisé dramaturge, ne pouvait y prétendre.

Le Théâtre de la Ville, enfin, sous la prudente direction de Jean Mercure, a pris moins de risques en montant Labiche (le Chapeau de paille d'Italie) avec Jacques Fabbri, et un Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu. Il n'empêche qu'il a eu son four, lui aussi, avec Rintru patroutar, hin !, de François Billetdoux. Cette farce triste en forme de fait divers, festival de virtuosité verbale gratuite, laissait une impression de désordre intellectuel, dont on cherchait en vain le fil secret et la poésie au cours d'une longue, longue soirée.

Mais n'ajoutons rien à cette liste négative, qui risquerait de fausser le bilan de la saison, en laissant croire qu'elle fut une suite ininterrompue de désastres. De nombreuses réussites et plusieurs tentatives de valeur permettent, au contraire, de rétablir heureusement l'équilibre. Là encore, toutefois, on retrouve la diversité des genres qui donne sa couleur particulière à cette année patchwork.

Soirées faciles

Passons rapidement sur les succès de Boulevard, qu'on dirait souvent fabriqués aux mesures du public qui les goûte encore. Il est certain, par exemple, que les Bonshommes, fable à l'ancienne qui rappelle plutôt Sacha Guitry que le théâtre contemporain, n'est pas, de loin, la meilleure pièce de Françoise Dorin, mais la présence de Michel Serrault et d'Edwige Feuillère suffisait pour assurer de belles recettes au Palais-Royal. Le Canard à l'orange, au Gymnase, ne risque pas non plus de révolutionner les règles du divertissement de digestion. Encore faut-il reconnaître que l'auteur, William Douglas Home, connaît à fond son métier, et l'exerce avec toute l'aisance qu'on peut attendre d'un bon faiseur londonien.

Parmi ces soirées faciles, Pauvre France, très librement adaptée d'une pièce américaine par Jean Cau, est sans conteste la plus drôle. En traitant sur le mode plaisant, avec une insolence assez nouvelle, le problème de l'homosexualité, ce vaudeville astucieusement mené fournit à Jacques Fabbri un rôle de père bougon et ahuri dans lequel il atteint au grand comique.