Au cours d'une conférence de presse, le président Pompidou a déclaré que, s'il devait choisir, un jour, entre l'inflation et le chômage, il prendrait plutôt le risque de la première que celui du deuxième. Cela donne une indication sur le sens de la politique économique de la France au cours des cinq prochaines années.
Malgré leur apparente précision, tous ces chiffres sont largement aléatoires. C'est qu'en France, à la différence de ce qui existe dans les pays socialistes, le Plan n'a pas de caractère contraignant. Les entreprises ne sont pas aux ordres de l'Administration, les syndicats ne sont pas les courroies de transmission du gouvernement et les consommateurs, malgré toutes les sollicitations dont ils sont l'objet, font, finalement, ce qu'ils veulent. Il y a tout de même quelqu'un qui devrait se sentir obligé de respecter le Plan, c'est son auteur, à savoir l'État. Le paradoxe du Ve Plan, qui s'est terminé en 1970. est que, de tous les objectifs qu'il s'était fixés, ce sont ceux qui dépendent de l'État qui ont été le moins bien réalisés : c'est ainsi qu'en matière d'équipements collectifs les objectifs du Ve Plan n'ont été atteints qu'à 85 %.
Le VIe Plan s'efforce de redresser la barre en prévoyant une croissance annuelle des équipements de 9 %. Le ministre des Finances a toutefois fait inscrire une réserve : si la situation financière se détériorait, on pourrait ramener la croissance des équipements collectifs à 8 % par an. Tels qu'ils sont, cela devrait permettre la mise en service, en cinq ans, de 1 400 km d'autoroutes, au lieu de 700 km durant le Ve Plan. Le réseau téléphonique devrait être entièrement automatisé en 1975 et, deux ans plus tard, le retard de la France, par rapport aux autres pays du Marché commun en matière de téléphone, devrait être comblé. Parallèlement, le gouvernement s'engage à faire un très gros effort en matière de formation professionnelle (il a d'ailleurs fait voter une loi en ce sens au printemps 1971). Cela devrait permettre de porter le nombre des actions de formation professionnelle de 500 000 en 1970 à 1 700 000 en 1975.
Les crédits budgétaires pour le développement urbain augmenteraient de 80 % en cinq ans. Une priorité effective serait donnée à l'accroissement des transports en commun : on devrait voir les premiers travaux pour les métros de Lyon et de Marseille. D'autre part, les pouvoirs publics financeraient la construction de 1 000 piscines couvertes, 3 000 terrains de sport, 1 500 gymnases. En matière de construction, le Plan prévoit l'achèvement de 510 000 logements neufs, chaque année, dont 315 000 logements économiques et sociaux.
Ce qui s'est passé pendant le Ve Plan rend naturellement sceptique beaucoup de monde, et singulièrement les syndicats, à l'égard de ces promesses. En fait, disent ces critiques, le financement des équipements collectifs n'est nullement garanti dans le Plan. Chaque année, chaque ministre devra se battre avec le ministère des Finances pour obtenir les crédits correspondants dans le budget. Déjà, en 1971, les crédits souscrits ont été inférieurs aux besoins et l'on n'est pas sûr qu'en 1972 un plan de stabilisation ne viendra pas contrarier les objectifs du plan de développement.
Le gouvernement a lui-même limité sa marge de manœuvre en la matière. Il a, en effet, retenu comme principe que, durant le VIe Plan, le budget de l'État resterait en équilibre et que la pression fiscale ne s'alourdirait pas. Cela a fait l'objet de très vives controverses entre ministres et il a fallu, à plusieurs reprises, que le chef de l'État lui-même rende son arbitrage.
Finalement, il a tout de même été admis que la pression fiscale (c'est-à-dire le poids des impôts sur le revenu national), qui a légèrement diminué en 1969 et 1970, pourrait tout de même quelque peu s'alourdir d'ici 1975. Cela concerne, en particulier, le poids des prestations sociales et de la fiscalité locale, alors que la fiscalité d'État s'allégerait quelque peu. Or, l'expérience prouve que, toutes les fois que l'État doit mettre de l'ordre dans ses finances, il le fait au détriment des équipements collectifs. Il est plus facile, en effet, de renoncer à construire un hôpital que de refuser des augmentations de salaires aux fonctionnaires ou des subventions à la RATP.