Le Conseil des ministres des Six, réuni le 11 août 1969, a décidé de ne pas modifier la valeur de l'unité de compte utilisée pour la politique agricole commune. Mais, pour éviter que les agriculteurs européens n'aient à souffrir de la concurrence des produits français moins chers, le marché français est temporairement isolé du reste du Marché commun par des mesures compensatoires aux frontières. Il est toutefois entendu que, dans un délai de deux ans, les prix français devront être à nouveau alignés sur les prix communs. Si ceux-ci ne sont pas modifiés (et c'est bien ce qui s'est produit en 1970), les consommateurs français paieront donc leurs produits agricoles plus cher. Une solution identique a été adoptée en octobre 1969, quand l'Allemagne a réévalué sa monnaie ; c'est-à-dire que la valeur de l'unité de compte, en matière agricole, n'a pas été modifiée. Il en résultera, normalement, une baisse des prix pour les agriculteurs allemands, mais pour éviter des complications politiques il a été convenu que la Communauté européenne prendrait à sa charge une partie de ce manque à gagner, le solde étant compensé par des aides gouvernementales en Allemagne.
Second plan Barre
Mais, à l'occasion de ces perturbations monétaires, les gouvernements des Six ont pris conscience que l'Europe ne pourrait pas poursuivre son unité très loin si elle ne touchait pas à la monnaie. Depuis longtemps déjà, la commission de Bruxelles avait tiré le signal d'alarme sur le sujet et son vice-président, Raymond Barre, avait proposé un plan de coopération monétaire, sans grand succès jusque-là. Le 26 janvier 1970, les Six se mettent enfin d'accord pour créer un mécanisme de soutien monétaire à court terme, d'un montant de 2 milliards de dollars. Les 23 et 24 février, les ministres des Finances déclarent officiellement que « l'Europe doit avoir une personnalité monétaire ». Sans perdre de temps, la commission de Bruxelles publie, le 4 mars, un plan d'union économique et monétaire à réaliser en trois étapes, jusqu'en 1978. C'est le Plan Barre no 2. Le 6 mars, les ministres des Affaires étrangères décident de créer un comité spécial, présidé par Pierre Werner, Premier ministre et ministre des Finances du Luxembourg, pour préparer un rapport sur la coopération économique et monétaire.
Le comité Werner sera reconduit en juin par le Conseil des ministres de la Communauté, après avoir présenté un premier rapport au mois de mai. On a même déjà cherché le nom que pourrait avoir cette monnaie communautaire : on l'appellerait l'« écu européen ».
Tout au long de ces discussions sur la coopération monétaire entre les Six, le débat a été dominé par l'évolution de la situation économique aux USA et par les controverses sur la nature même d'une union monétaire. Depuis 1968, le système monétaire international fonctionne, en pratique, sur la base de l'étalon dollar. Indépendamment des inconvénients politiques que constitue cette suprématie américaine sont apparus progressivement des inconvénients économiques graves. Les USA se trouvent engagés dans des conflits internes et externes d'une très grande ampleur : contestation étudiante, révolte noire, guerre au Viêt-nam. Il est devenu de plus en plus évident que le monde ne pouvait pas continuer d'avoir pour seule monnaie celle du pays le plus exposé aux aléas politiques, quelle que soit la puissance économique de celui-ci. L'idée de faire reposer le système monétaire international non plus sur une seule monnaie, le dollar, mais sur deux monnaies internationales, le dollar et une monnaie européenne, a donc, progressivement, fait son chemin.
Seulement, est-il possible de concevoir une union monétaire indépendamment d'une union économique ? C'est le débat entre les Six. Les Allemands sont les tenants les plus fermes du parallélisme, c'est-à-dire que l'on ne peut, selon eux, faire l'union monétaire que si l'on a été de l'avant dans l'union économique, c'est-à-dire dans une harmonisation réelle des politiques budgétaire, monétaire, salariale, etc. La France, au contraire, estime que l'on peut faire quelques pas en avant dans le domaine monétaire sans avoir l'union économique, dans laquelle elle souhaite d'ailleurs, elle aussi, progresser, mais en évitant de remettre en cause la souveraineté des États nationaux. « Grenelle n'aurait pas pu avoir lieu à Bruxelles », a dit un ministre français.