Concrètement, l'union monétaire doit commencer par la mise en commun d'une partie des réserves de change des pays membres et par une plus grande fixité des taux de change des monnaies européennes, les unes par rapport aux autres. Or, dans le même temps, les Américains militent, au contraire, en faveur d'une plus grande marge des fluctuations entre les monnaies. Le but recherché à Washington est d'éviter toute dévaluation du dollar, qui comporterait un préjudice politique pour la puissance américaine. Et l'une des façons d'éviter une telle dévaluation est de favoriser, par des taux de change plus ou moins flottants, la réévaluation spontanée des monnaies les plus fortes par rapport au dollar, comme cela a été le cas pour le DM en octobre 1969 et pour le dollar canadien en juin 1970.
À l'arrière-plan de la bataille sur l'union monétaire se trouvent donc deux problèmes essentiels pour l'avenir de la Communauté européenne. L'autonomie des politiques nationales par rapport aux politiques européennes, d'une part ; les rapports de l'Europe avec l'Amérique, d'autre part.
Politique industrielle
Dans le même souci d'approfondir la Communauté européenne, les Six ont commencé à réfléchir sur la définition d'une politique commune en matière industrielle. Jusqu'alors, seule l'agriculture avait fait l'objet d'une telle politique, car il n'y avait pas moyen de réaliser autrement un marché commun agricole. La commission de Bruxelles a publié, le 19 mars 1970, un important mémorandum sur ce que pourrait être une politique industrielle de la Communauté. Ce mémorandum met en évidence les retards de l'Europe dans le domaine industriel et les obstacles à son unité. Il recommande la constitution de groupes industriels européens réunissant des firmes de nationalités différentes et capables de se mesurer avec les géants américains sur le marché mondial. Il insiste sur les risques que comporte la constitution, dans chaque nation, de très grands groupes industriels nationaux, qui peuvent reconstituer, à leur avantage, l'équivalent d'une protection douanière au moyen, par exemple, d'un monopole sur les commandes publiques. Le mémorandum insiste également sur la nécessité d'une politique européenne de la recherche dans un certain nombre de domaines. Dès le 28 octobre 1969, un groupe de travail, présidé par M. Aigrain, avait d'ailleurs recommandé une coopération technologique dans sept domaines prioritaires : l'informatique, les télécommunications, les nouveaux moyens de transports, l'océanographie, la métallurgie, les nuisances et la métallurgie.
Élargissement de la CEE
Seulement, qu'il s'agisse du domaine monétaire ou du domaine industriel, la progression de l'Union européenne passe désormais par la négociation avec la Grande-Bretagne. La livre sterling reste, malgré tout, la deuxième monnaie mondiale pour le règlement des échanges internationaux et tout accord monétaire entre les Six restera difficile tant qu'on ne saura pas si la livre rejoint, ou pas, les monnaies du continent. Il en va de même dans le domaine industriel et technologique, car la Grande-Bretagne est déjà le siège de grandes sociétés internationales, et tout le monde s'accorde à reconnaître que, dans le domaine technologique, c'est un des pays qui a fait le plus d'efforts au cours des dernières années.
L'approfondissement de la Communauté touche ainsi au troisième volet du triptyque, celui qui concerne l'élargissement du Marché commun.
Au cours de la période juillet 1969-juillet 1970, la Communauté a développé ses relations avec l'extérieur. C'est ainsi que, le 29 juillet 1969, une deuxième convention d'association entre les Six et dix-huit États africains et malgaches est signée à Yaoundé. Elle renouvelle, jusqu'en 1975, un accord antérieur, en en modifiant certaines dispositions. C'est ainsi que l'aide financière mise à la disposition des États africains et malgaches atteint 918 millions de dollars, soit 25 % de plus que dans la première convention. Les échanges commerciaux avec ces pays bénéficient d'un désarmement douanier à peu près complet dans les deux sens. Par contre, il n'y a plus de soutien systématique des prix, afin d'éviter de maintenir des productions tropicales qui ne sont plus rentables. La convention met l'accent sur l'industrialisation des pays associés, ce qui suppose qu'on leur donne la possibilité d'exporter, dans de bonnes conditions, leurs productions vers le Marché commun. En septembre 1969, des accords d'association avec la Tunisie, le Maroc, le Kenya, l'Ouganda et la Tanzanie sont conclus pour cinq ans. Ces pays n'étaient pas parmi les membres de la convention de Yaoundé. En mars 1970, c'est avec l'Espagne que la Communauté conclut un accord préférentiel, puis avec la Yougoslavie. Parallèlement, le 1er janvier 1970, le tarif douanier commun des Six a subi la troisième des cinq réductions prévues par le Kennedy Round, en excluant, toutefois, les produits chimiques, car les USA n'ont pas aboli dans ce secteur le système protectionniste qu'ils avaient pris l'engagement de faire disparaître (ce qu'on appelle l'American Selling Price).
La candidature anglaise
Le fait nouveau pour la Communauté européenne ne réside pas, toutefois, dans l'élargissement du cercle des pays associés, mais dans l'ouverture de négociations avec des pays qui demandent leur adhésion. Il s'agit de la Grande-Bretagne, de l'Irlande, du Danemark et de la Norvège. C'est à La Haye que les Six ont accepté effectivement d'ouvrir de telles négociations. La plus importante est, naturellement celle avec la Grande-Bretagne, qui pose ainsi, pour la troisième fois, sa candidature au Marché commun. La première fois, ce fut en 1961, quand McMillan, rompant avec la politique suivie jusqu'alors par la Grande-Bretagne, exprima officiellement le vœu d'entrer dans la Communauté. Les négociations durèrent jusqu'au début de 1963, date à laquelle le général de Gaulle fit savoir, sans ménagements, que l'on ne pouvait pas aller au-delà. En 1967, les travaillistes arrivés au pouvoir, c'est Harold Wilson, lui aussi longtemps opposé au Marché commun, qui posait officiellement la candidature britannique. En vain. La France fit savoir, en décembre 1967, que c'était inutile d'ouvrir une discussion qui ne pourrait pas aboutir.