Dossier : relations sociales
La structure sociale évolue
Une année ambiguë, contrastée. Des actions revendicatives déconcertantes, chaotiques, difficilement intelligibles parfois. Toutes les catégories ont été concernées : les commerçants et les cadres, les policiers et les éboueurs, le secteur public comme le secteur privé. Une volonté de concertation permanente affirmée par le Premier ministre, mais aussi la loi anti-casseurs, loi scélérate aux yeux des organisations syndicales. L'aile avancée de la majorité rêve à la nouvelle société, mais le ministre des Finances lance son plan de redressement sous le signe de l'austérité.
Bref, les signes les plus contradictoires se sont multipliés. Décadence ou renouveau ? A-t-on assisté à un retour à la IVe République, avec résurgence du poujadisme et contestation de l'autorité d'un État constamment bafouée ? Ou bien a-t-on vécu une crise de mutation, prolongement moins intense, mais plus durable de la crise de mai 1968, dernière secousse avant l'entrée tardive de la société française dans l'ère industrielle ?
Le jugement ne peut que demeurer en suspens. Pourtant, une certitude s'impose indiscutablement : la structure sociale se transforme, les relations professionnelles évoluent.
Hésitations de la CGT
En septembre, début des hostilités : la CGT et le gouvernement s'affrontent. À l'ouverture de la session parlementaire, Jacques Chaban-Delmas présente la nouvelle société aux parlementaires. Georges Séguy riposte et se demande publiquement si le septennat ne va pas être de courte durée. La petite phrase fait long feu, mais beaucoup de bruit, et la polémique s'aigrit. « Le pouvoir est usé, affirme Henri Krasucki, secrétaire de la CGT, la société capitaliste a fait son temps. » Déjà Force ouvrière s'inquiète des grèves Molotov, analogues à celles de 1947.
Les grèves sauvages, qui se multiplient en Allemagne (100 000 travailleurs paralysent les industries clés sans en avoir reçu la consigne de leurs syndicats) et en Italie, donnent une dimension internationale aux conflits sociaux en France. À la SNCF, à la RATP, à l'AFP, à la SNECMA, à l'Énergie atomique et surtout chez Renault, les débrayages se multiplient. La CGT refuse de signer deux accords à la fin d'octobre 1969. L'un est relatif à l'emploi dans la métallurgie, l'autre aux catégories C et O de la fonction publique. Est-ce l'escalade ? La CGT est surprise par la combativité de la base. Sa grande préoccupation est de ne pas se laisser déborder par les gauchistes. Pendant son 37e Congrès, en novembre, elle comptabilise à son actif 904 actions en deux mois, dont 447 succès. Le soir du 25 novembre, après un accord laborieux entre la CGT et la CFDT, une grève est déclenchée à l'EDF. L'ordre de débrayage est rapporté au début de la journée du 26, « compte tenu de la rigueur de la température ». Suivent des explications embarrassées où se mêlent le souci de ne pas aller à l'encontre d'une opinion publique défavorable et la crainte d'une provocation montée par des militants de l'aile dure de l'UDR.
Le mouvement revendicatif semble cassé pour plusieurs semaines. Le gouvernement saisit l'occasion : il ouvre des discussions sur un contrat de progrès, à l'EDF précisément. D'autres projets doivent être votés : l'actionnariat à la Régie Renault, le régime de l'assurance maladie des travailleurs indépendants, la réforme du SMIG. L'opinion ne s'y intéresse guère. Toute l'attention est braquée sur l'EDF. Après la signature du contrat de progrès par toutes les autres centrales syndicales, la CGT condamne les « exaltations gouvernementales » et contre-attaque. Sa riposte : un référendum organisé par elle, le 14 janvier 1970, pour faire rejeter le contrat par l'ensemble des salariés de l'EDF. Le gouvernement, les autres confédérations dénoncent cette initiative. Mais la CGT, représentative selon le statut de l'EDF, n'a pas à consulter avant de prendre ses responsabilités. 60,1 % des votants (55,9 % des inscrits) se prononcent pour le rejet du contrat, alors que la CGT recueille habituellement 58 % des suffrages aux élections professionnelles. Le gouvernement avait marqué un point en novembre, avec la grève avortée. La CGT égalise en prouvant qu'aucune politique sociale ne peut se faire sans son appui. Match nul, mais il y a d'autres manches à jouer.
L'actionnariat ouvrier chez Renault
Relancée par le président de la République au cours de sa conférence de presse du 22 septembre 1969, l'idée ancienne de l'actionnariat ouvrier est désormais une réalité à la Régie nationale des usines Renault (loi du 2 janvier 1970).