Pablo Ruiz Picasso
Peintre, graveur et sculpteur espagnol (Málaga 1881-Mougins 1973).
Créateur d'une longévité exceptionnelle, Pablo Picasso a bouleversé l'art du xxe siècle, que son seul nom suffit à incarner. Il passa par le cubisme puis par le surréalisme, avant de se mettre en quête de perpétuelles innovations plastiques dans une œuvre qui touche à tous les genres.
1. Les débuts à Barcelone
Fils d'un modeste peintre qui est aussi professeur de dessin et d'une mère d'origine génoise, dont il adoptera le nom de famille, Pablo Picasso arrive en 1895 à Barcelone, où se fait l'essentiel de sa formation. Il s'intéresse à l'art espagnol du Moyen Âge et au Greco, mais il découvre aussi Edvard Munch, Théophile Alexandre Steinlen et Henri de Toulouse-Lautrec.
Lui-même expose pour la première fois en 1899. Sa peinture est alors relativement classique. Les préoccupations liées au contenu s'y expriment en différentes couleurs : le bleu traduit sa révolte contre la misère humaine (« période bleue » [1901-1904] : Femme au fichu bleu, 1902) ; le rose revêt une signification plus festive en rapport avec son amour du cirque (« période rose » [1904-1906] : les Bateleurs, 1906).
2. À Montmartre au début du siècle
À Paris, où il occupe depuis 1904 le fameux atelier du Bateau-Lavoir, à Montmartre, Picasso entame une évolution radicale. Celle-ci résulte à la fois de son aspiration à une plastique qui vise l'essentiel, nourrie des exemples de la sculpture ibérique puis africaine, des nouvelles découvertes (Jean Auguste Dominique Ingres, Paul Cézanne, Paul Gauguin) et des rencontres (Henri Matisse, Georges Braque, André Derain) qu'il fait.
Une conception déroutante en découle, dont les Demoiselles d'Avignon (1906-1907) sont le manifeste. Braque s'indigne, mais Daniel Henry Kahnweiler, un jeune collectionneur allemand, s'extasie.
3. Une décisive contribution au cubisme
La géométrisation qu'introduisent les Demoiselles d'Avignon s'accentue sous la forme d'une fragmentation (Usine à Horta de Ebro,, 1909 ; Tête de femme, bronze, id.) et aboutit, en symbiose avec les travaux de Braque, à l'avènement du cubisme.
Figures et natures mortes confirment l'éclatement des volumes menant à une structuration par plans et à une vision globale de la toile (Portrait de Kahnweiler, 1910). On est alors aux limites de l'abstraction, avec des couleurs réduites à des camaïeux bruns et gris, avec des formes ramenées à quelques signes – typiques de la phase du cubisme dit « hermétique »
Le problème des rapports avec la réalité trouve chez Picasso des solutions nouvelles qu'apportent, dès 1911, l'introduction de chiffres, de lettres ou de mots dans l'espace pictural, puis l'intégration à celui-ci d'éléments réels tels que des morceaux de journaux ou de papier peint, ou encore des imitations de bois (Nature morte à la chaise cannée, 1912). Les papiers collés, qui accordent une grande place à la couleur, de même que les assemblages d'éléments en bois et en métal (Bouteille de Bass, verre et journal, 1914.) proposent une approche synthétique des objets usuels du répertoire cubiste (bouteille, verre, guitare, etc.).
4. Accomplissement d'un art protéiforme
Une autre période s'ouvre lorsque Picasso, à la faveur d'un séjour à Rome, collabore avec Serge de Diaghilev pour les décors et costumes de plusieurs ballets (dont Parade, 1917, et Pulcinella, 1920). Il s'oriente partiellement vers une peinture volontiers antiquisante et monumentale (la Flûte de Pan, 1923).
Dans le même temps, l'expérience cubiste, loin d'être oubliée (les Trois Musiciens, 1921), connaît des prolongements multiples, voire contradictoires : de la désarticulation des formes naissent, sous l'influence surréaliste, aussi bien la beauté « convulsive » invoquée par André Breton (la Danse, 1925) que l'érotisme violent issu de ses propres fantasmes (Figures au bord de la mer, 1931). Cette stylisation se retrouve, d'une part, dans les constructions en fer semi-abstraites exécutées à partir de 1928-1929 avec l'aide de Julio González et, d'autre part, dans les têtes et bustes de femmes, tout en rondeurs, de 1932-1933.
5. La présence de l'Espagne
L'Espagne ne cesse pas de hanter un artiste qui traite abondamment de la corrida (la Mort du torero, 1933). Dans le contexte de la guerre civile qui meurtrit le pays, Picasso accentue les déformations de ses sujets (Femmes dans un intérieur, 1936) et s'éveille au militantisme dénonciateur (Guernica, 1937). Au cours de la Seconde Guerre mondiale, qu'il passe à Paris, son expression se fait encore plus angoissée (Nature morte au crâne de bœuf, 1942) ou retrouve, avec une facture classique, un pathétique intemporel (l'Homme au mouton, bronze, 1944).
6. Les variations à la lumière du Midi
L'engagement d'un homme qui déclare avoir fait de la peinture « en véritable révolutionnaire » se concrétise par son adhésion au Parti communiste en 1944. Dans le Midi méditerranéen où il choisit de vivre, Picasso donne libre cours à son espoir d'un monde délivré de la guerre (la Joie de vivre, 1946 ; la Guerre et la Paix, 1952).
Entre autres expériences nouvelles, il crée un saisissant bestiaire par la sculpture (la Chèvre, 1950 ; la Guenon et son petit, 1952) et par la céramique. Il achève aussi son œuvre de graveur, qui comprend au total plus de 2 000 estampes.
En peinture, Picasso se met à sonder les apports de son œuvre propre ou de celle de ses contemporains (comme celle de Matisse dans l'Atelier de Cannes, 1956). Il revisite aussi de grands tableaux du passé dans plusieurs séries (Femmes d'Alger [1954-1955], d'après Eugène Delacroix ; les Ménines [1957], d'après Diego Vélasquez ; le Déjeuner sur l'herbe [1960-1961], d'après Édouard Manet ; l'Enlèvement des Sabines [1962-1963], d'après Louis David). Ce sont autant de prétextes à des variations picturales que couronne la série sur le Peintre et son modèle – c'est-à-dire sur le peintre et la femme.
7. Figures féminines
Fernande Olivier (1881-1966), Eva Gouel (1885-1915), Olga Khokhlova (1891-1954), Marie-Thérèse Walter (1909-1977), Dora Maar (1907-1997), Françoise Gilot (née en 1921), Jacqueline Roque (1926-1986) : les femmes que Picasso a aimées furent pour lui une source constante d'inspiration et ses liaisons furent autant de jalons dans une œuvre dont elles contribuent à délimiter les styles.
À quelques exceptions près, comme le Portrait d'Olga dans un fauteuil (1918), nettement figuratif, les visages de ces femmes sont moins un modèle qu'un matériau de construction, dont les divers éléments – nez, oreilles, cou – peuvent être déformés et disposés selon l'expression recherchée. Picasso vise avant tout à cerner des personnalités.
L'activité artistique de Picasso ne prend fin qu'avec sa mort, à l'âge de 91 ans. La vaste dation à laquelle procéderont ses héritiers constituera le fonds du musée national Picasso de Paris, inauguré en 1985.
Voir aussi l'article Pablo Picasso [littérature].
8. Citations
« Il n'y a en art ni passé ni futur. L'art qui n'est pas dans le présent ne sera jamais. »
Pablo Picasso
« Chercher ne signifie rien en peinture. Ce qui compte, c'est trouver. »
Pablo Picasso
« Picasso étudie un objet comme un chirurgien dissèque un cadavre. »
Guillaume Apollinaire (Méditations esthétiques. Les peintres cubistes)