Balzac ne s'est jamais reconnu dans la révolution des journalistes. Écrivain, il ne lui prête pas davantage attention. Il n'est pas question du soulèvement dans la Peau de chagrin (1831), dont l'action se situe pourtant à ce moment-là, mais on y trouve le reflet d'une excursion en bateau jusqu'au Croisic en compagnie de Mme de Berny. C'est entre mai et octobre 1830 que Raphaël de Valentin gaspille à Paris la fortune gagnée au jeu par Eugène de Rastignac, et cependant pas un mot n'indique qu'il se soit aperçu de troubles quelconques. La manière de Balzac est très différente à cet égard de ce que sera celle de Flaubert faisant une large place à la révolution de 1848 dans l'Éducation sentimentale.

En 1830, il y a deux sortes de presse à Paris. Au plus bas degré sont les journaux proprement dits ; au-dessus, les revues. Or, cette année-là, Balzac entre dans l'important groupe que dirige le magnat de la presse Émile de Girardin (le Voleur, la Mode, la Silhouette, le Feuilleton des journaux politiques) avant d'accéder aux grandes revues littéraires, la Revue des Deux Mondes et la Revue de Paris.

Sur le tournant de 1830

On trouvera de nombreux textes de Balzac journaliste dans les deux volumes d'Œuvres diverses, éd. de Nicole Mozet, Roland Chollet et René Guise, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1990 et 1996. Voir sur ce tournant de 1830 deux ouvrages importants qui ont fait date :

Pierre Barbéris, Balzac et le Mal du siècle. Contribution à une physiologie du monde moderne, Gallimard, 1970, deux volumes.

Roland Chollet, Balzac journaliste. Le Tournant de 1830, Klincksieck, 1983.

Balzac, « fantastiqueur »

Des textes narratifs viennent parfois se mêler aux textes proprement journalistiques dans la production de Balzac en 1830. Ce sont de toutes petites choses, comme Zéro « conte fantastique » ou Tout « conte fantastique » dans le journal la Silhouette ; c'est une nouvelle, El Verdugo, dans la Mode, dès le 30 janvier. Le plus important, le plus durable est la série de trois nouvelles ou romans courts publiés d'octobre à décembre dans la Revue de Paris : l'Élixir de longue vie, Sarrasine, Une passion dans le désert.

Cette revue avait été créée et lancée en avril 1829 par le docteur Véron. Cet homme étrange et remarquable sera le modèle de Crevel dans les Parents pauvres. Docteur en médecine, il s'était reconverti à la fois dans la pharmacie et dans le journalisme. Il était l'inventeur, non de l'élixir de longue vie rêvé par les alchimistes, mais d'un baume pectoral dont la vente l'avait enrichi. Passionné d'opéra, il a réussi à faire de Rossini l'un des actionnaires de la Revue de Paris. Il dirigera plus tard la salle Favart. Il a décidé pour l'instant d'« ouvrir les deux battants d'une grande publicité à tous les jeunes talents encore obscurs, comme à tous les écrivains déjà célèbres ». Ernst Theodor Amadeus Hoffmann se situe entre les deux. Mort en 1822 à Berlin, l'écrivain allemand commence à peine à être connu en France, mais très vite il est lancé par les traductions de Loève-Veimars. On nivelle tout, Fantasiestücke, Nachtstücke, etc., pour en faire des « contes fantastiques ». Théophile Gautier, aux avant-postes du romantisme, invente pour qualifier Hoffmann le mot « fantastiqueur ». Or Balzac, à ses débuts d'écrivain, a voulu être à sa manière, plus française qu'allemande, un fantastiqueur. « Croyez-vous que l'Allemagne ait seule le privilège d'être absurde et fantastique ? », inscrit-il en tête de Sarrasine.

C'est au lendemain de la révolution de Juillet qu'il a pris l'initiative d'un contact avec la Revue de Paris. Elle va correspondre à son déploiement du côté du conte fantastique. « On n'écrit pas Sarrasine dans les époques heureuses ou simplement équilibrées », a fait observer Pierre Barbéris. Pour le critique, d'inspiration marxiste, le récit ne peut être que marqué, sinon par les événements, du moins par le climat moral de ces temps troublés. Balzac a peu de sympathie pour les parvenus, le comte et la comtesse de Lanty dans Sarrasine, bientôt le baron de Nucingen, le banquier, dans Splendeurs et misères des courtisanes. On peut lire différemment les trois nouvelles de l'automne 1830 et, l'année suivante, la Peau de chagrin. Balzac joue à être un nouvel Hoffmann, et il fait ainsi ses gammes de romancier. La métaphore musicale s'impose d'autant plus que Balzac, amateur d'opéra, fait référence à la musique dans ses récits : il sera encore question des Danaïdes de Salieri dans Illusions perdues, du Mosè de Rossini dans Massimilla Doni, du grand succès de Meyerbeer, Robert le Diable, dans Gambara, ou encore de la cinquième symphonie de Beethoven dans César Birotteau – là, dans des termes proches du commentaire de la même œuvre par Hoffmann dans ses Kreisleriana.