Enfin, les protestants pouvaient accéder à tous les emplois, même aux offices royaux ; ainsi non seulement ils n'étaient pas socialement pénalisés (contrairement à des minorités religieuses d'autres pays, et ce parfois jusqu'au xixe et même au xxe siècle), mais – ce qui était lié – cela constituait la reconnaissance explicite qu'ils étaient de bons et loyaux sujets du roi à l'égal des catholiques. L'équité judiciaire était, par ailleurs, assurée par la création de « chambres mi-partie » dans plusieurs parlements. Symboliquement, ces dispositions enlevaient de fait aux réformés le caractère d'« hérétiques » et, quand il est question, dans le texte, de « religion prétendue réformée », il faut se garder d'un contresens. Le terme important n'est pas « prétendue » mais « religion ».

À l'édit proprement dit – qui sera « enregistré » avec difficulté par certains parlements – s'ajoutent deux « brevets ». L'un accordait une subvention royale pour les facultés de théologie et l'exercice du culte réformé, l'autre instaurait pour huit ans (le temps de vérifier que l'édit apporte bien la pacification espérée) des « places de sûreté » aux protestants. Ces places de sûreté seront supprimées par l'édit d'Alès (1629), au lendemain de la prise de la Rochelle, qui confirmera par ailleurs toutes les clauses de l'édit de Nantes proprement dit.

De la signification de l'édit de Nantes

Voilà l'essentiel des faits, contestés par personne. Mais, à partir de là, l'édit de Nantes a donné lieu à un débat historiographique. Il y a un siècle, lors du troisième centenaire, l'historiographie républicaine insistait sur les termes de « perpétuel et irrévocable » inscrits à la fin du préambule. Cela conduisait à un surcroît d'indignation contre la révocation de cet édit par Louis XIV en 1685. Aujourd'hui, on tend à penser qu'une telle formule signifie seulement que l'édit ne peut être révoqué que par un édit de même nature, enregistré par les parlements. Mais, après avoir effectué une telle interprétation, certains historiens prennent au pied de la lettre une autre formule du préambule qui regrette que Dieu ne puisse pas être adoré « encore en une même forme et religion » et ils s'en servent pour affirmer que l'édit comportait « en germe » sa propre révocation. « La révocation est une manière d'être fidèle à l'esprit de l'édit de Nantes en mettant fin à cette tolérance provisoire qu'il instaurait en attendant mieux » (Th. Wanegfellen, le Figaro, 19 février 1998). D'autres spécialistes partagent ce point de vue, en l'exprimant parfois de façon plus modérée. Par contre, chacun à leur manière, des historiens comme Pierre Chaunu, Jean Delumeau et Janine Garrisson estiment que l'accent principal de l'édit reste la tolérance civile. Nous sommes de cet avis et estimons qu'en remplaçant une histoire morale par une histoire déterministe on effectue plusieurs glissements. La tolérance civile est alors une politique si difficile à faire accepter par des mentalités hostiles qu'il est habile de la placer sous l'égide de la concorde religieuse et peut-être la signification du « encore » se trouve-t-elle seulement là. Si Henri IV souhaitait réellement aboutir à la concorde religieuse, il y a loin de l'intention à l'action et il ne fit pas grand-chose ensuite pour aller dans ce sens. Mais, même dans le cas d'initiatives plus récurrentes, il existe un abîme entre la concorde religieuse et le processus de discriminations puis de persécutions effectué entre 1660 et 1685 pour aboutir à la fiction qu'il n'existait pratiquement plus de protestants dans le royaume – malgré des conversions spectaculaires comme celle de Turenne, leur nombre resta à peu près stable sous l'édit – et à la révocation. Curieuse historiographie que celle qui aboutit à mettre les dragonnades dans la lignée d'un édit qui fixe des règles de cohabitation paisible entre une religion dominante et une minorité religieuse ! Certes, l'édit n'instaure nullement la démocratie, personne ne le suggère ; au contraire, en arrivant à imposer cet accord, Henri IV établit un pouvoir royal fort. Mais, ayant comme expérience fondamentale les guerres de Religion, il le fait au profit d'un roi arbitre entre les parties en présence, alors qu'après la Fronde et la première révolution anglaise (avec son régicide légal) Louis XIV est obsédé par les factions. La notion de « tolérance » est bien sûr, alors, très différente de sa signification dominante aujourd'hui : tolérer, c'est supporter quelque chose que l'on considère comme un mal et dont l'éradication entraînerait un mal plus grand encore. Il ne s'agit pas d'une reconnaissance mutuelle de l'autre telle qu'on la prône maintenant. Et pourtant, si on considère l'histoire de l'Europe, où la tolérance, dans son sens ancien, s'est peu à peu instaurée dans plusieurs pays du Nord au xviiie siècle, on s'aperçoit que, à travers le franchissement de seuils culturels, il existe une certaine continuité historique entre les diverses acceptions du terme de tolérance.

Préambule de redit de Nantes

Henry par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre. À tous présents et à venir. Salut [...] les armes et hostilités [ayant] cessées en tout le dedans du royaume, nous espérons [...] que, par ce moyen, nous parviendrons à l'établissement d'une bonne paix et tranquille repos qui a toujours été le but de tous nos vœux et intentions [...]. Maintenant qu'il plaît à Dieu commencer à nous faire jouir de quelque meilleur repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu'à pourvoir qu'Il puisse être adoré et prié par tous nos sujets et, s'Il ne Lui a plu permettre que ce soit pour encore en une même forme et religion, que ce soit au moins d'une même intention et avec une telle règle qu'il n'y ait point pour cela de trouble ou de tumulte entre eux [...] Pour cette occasion, après avoir repris les cahiers des plaintes de nos sujets catholiques, ayant aussi permis à nos sujets de la religion prétendue réformée de s'assembler par députés pour dresser les leurs [...], nous avons jugé nécessaire de donner maintenant sur le tout à tous nos sujets une loi générale, claire, nette et absolue [pour] qu'il se puisse dorénavant établir entre [nos sujets] une bonne et perdurable paix [...]