La commémoration de l'édit de Nantes

Il semble que les Français s'avèrent plus attachés que d'autres peuples aux commémorations. Cela tient peut-être à deux facteurs principaux : d'abord, leur histoire en tant que nation apparaît plus longue que celle d'autres pays occidentaux ; ensuite, cette histoire a été marquée par des conflits qui ont paru ébranler sa cohésion sociale et même, parfois, menacer son identité.
Le succès des commémorations de l'édit signé à Nantes, probablement le 30 avril 1598, par le roi Henri IV tient à ces deux raisons. La célébration s'insère dans une sorte de « parcours » commémoratif où quelques grandes dates permettent de restituer les étapes essentielles de l'histoire de la France dans ses rapports avec la religion.

En 1996, la commémoration du mille cinq centième anniversaire du baptême de Clovis rappelle les racines catholiques de la culture française ; deux ans plus tard, il y a celle de l'édit de Nantes où, sans trop faire d'anachronisme, nous pouvons lire la première grande tentative de dissocier la citoyenneté de l'appartenance religieuse ; enfin, en 2005, dans un avenir qui n'est pas si lointain, aura lieu la célébration du centenaire de la loi de séparation des Églises et de l'État. Mais, si l'édit de Nantes met (provisoirement) fin à la grande fracture opérée par les guerres de Religion, sa commémoration rencontre, en 1998, celles d'autres secousses importantes qui ont mis notre pays à l'épreuve : l'antisémitisme (centenaire du célèbre « J'accuse » d'Émile Zola) et l'esclavage (cent cinquantième anniversaire de son abolition). Ainsi les commémorations sont l'occasion d'insister sur l'épaisseur historique de la réalité présente – rappel indispensable dans une société qui privilégie le scoop et l'immédiateté – et le point de départ de débats publics sur les valeurs sociales fondamentales. Porter un regard dynamique sur le passé permet, paradoxalement, de se projeter dans l'avenir à construire. Les célébrations du quatre centième anniversaire de l'édit de Nantes ont comporté ces deux aspects. Elles ont permis de retracer les conflits du xvie siècle et, plus généralement, ceux de la préhistoire de l'établissement de la liberté religieuse en France – à ce niveau, nous avons eu une floraison de travaux historiques de qualité – et elles ont induit une actualisation aux problèmes de notre époque, marquée, comme les autres siècles même si cela se manifeste de façon différente, par la tension entre les convictions et la tolérance.

Les principales cérémonies du quatrième centenaire

Si la date du 13 avril 1598 a longtemps été mise en avant, c'est plutôt le 30 avril – selon l'opinion dominante des historiens actuels – que Henri IV a signé l'édit de Nantes. Peu importe de toute façon, car des manifestations commémoratives ont eu lieu pendant pratiquement toute l'année 1998. Elles ont commencé à Paris, le 18 février, par une cérémonie à l'Unesco placée sous l'égide du président de la République, Jacques Chirac (et organisée par la Fédération protestante de France). Elles se sont terminées, fort logiquement, à Nantes, le 12 décembre 1998 par un concert de clôture.

Entre-temps, de très nombreuses manifestations ont eu lieu. Parmi les plus importantes, il faut signaler deux congrès : « Foi et tolérance », à Paris, au Palais des Congrès (organisé par l'association du même nom et l'hebdomadaire le Christianisme) et « Religions de guerre ou de paix », à Nantes (le quotidien la Croix et l'hebdomadaire Réforme,) ; un grand forum à Lyon sur « Convictions et tolérance », « L'assemblée du Désert » à Mialet, des colloques internationaux (« La tolérance », Nantes ; « L'édit de Nantes dans son contexte européen », Mayence, Allemagne ; « Les relations Églises-État », Paris). Les grands quotidiens nationaux (le Monde, le Figaro, l'Humanité, la Croix...) ont consacré plusieurs pages à la commémoration de l'événement. L'Éducation nationale a diffusé un texte du professeur Jean Delumeau (président du Comité national de commémoration de l'édit de Nantes) pour être lu et commenté auprès des élèves.

Des guerres de Religion à l'édit de Nantes

On sait que l'édit de Nantes a permis de mettre fin aux guerres de Religion, qui ont ravagé la France entre 1562 et 1598. Les travaux publiés dans la dynamique de la commémoration ont rappelé que, dès le milieu du xvie siècle, le relatif succès de la Réforme en France (environ 10 % de la population, un quart de la noblesse) obligeait la royauté à reprendre à nouveaux frais la question religieuse. Comment sauvegarder la paix civile dans un contexte aussi conflictuel, à une époque où religion, politique et vie sociale se trouvaient intimement mêlées ? Deux voies nouvelles furent tentées. Celle de la concorde religieuse et celle de la tolérance civile.