Journal de l'année Édition 1992 1992Éd. 1992

C'est aussi une nouvelle leçon pour la vieille Europe, un peu trop prétentieuse et conservatrice. Son entêtement à se complaire dans un mode de jeu très rationnel et trop frileux lui a déjà coûté deux Coupes du monde. Si elle persiste dans cette voie, la troisième, qui se disputera en 1995, sans doute en Afrique du Sud, risque encore de lui échapper.

Pour l'équipe de France, éliminée sans gloire par l'Angleterre en quarts de finale, l'heure du bilan a sonné. Qu'il soit sportif, promotionnel ou financier, il n'est pas brillant. Plus de capitaine (Serge Blanco), plus d'entraîneurs (Daniel Dubroca et Jean Trillo), plus de staff médical, et un président intérimaire (Bernard Lapasset). Voilà la réalité du rugby français. Ce n'est pas une surprise, ni une raison pour se lamenter. Mais dans l'immédiat, pour tenter de guérir le convalescent, il faut de toute urgence rompre avec une démagogie qui ne saurait être une forme de gouvernement. Le temps presse également pour mettre en place un véritable encadrement de l'équipe de France, pour, enfin, définir les grandes options de jeu qui fassent des diverses sélections les émanations d'une authentique école française. Que la France, avec son inépuisable réservoir de joueurs de talent, avec aussi sa tradition dans le jeu de ligne des trois-quarts, n'ait pas été capable, malgré les six essais de Jean-Baptiste Lafond, d'envoyer la balle à l'aile, est un défi au bon sens. C'est pourtant la faute qu'elle a commise lors de cette deuxième Coupe du monde et c'est peut-être la pire : ne pas faire confiance à ses attaquants, dont le génie est reconnu et apprécié partout là où il se manifeste.

Aujourd'hui, une page importante va être tournée. La Coupe du monde, avec notamment l'arrivée massive de l'argent, est en train de tout accélérer. Sans des réformes radicales, le XV Tricolore, quelles que soit les qualités de la nouvelle vague, risque de s'enliser dans la médiocrité de succès éphémères. La Fédération doit vite régler les conflits qui menacent encore de la déchirer, avec la démission de son président Albert Ferasse, pour faire de l'équipe nationale, la priorité des priorités. Sinon...

Premier tour. À l'exception du pays de Galles, éliminé par les Samoa occidentales – mais est-ce vraiment étonnant ? –, tous les favoris sont sortis sans dommage des poules de qualification. La plus grande déception est venue des Fidjiens, battus d'entrée par les Canadiens, qui ont été la grande révélation de ce tour préliminaire, fatal à l'Argentine, aux États-Unis, à l'Italie, au Japon, à la Roumanie et au Zimbabwe. Mais c'était attendu dans un sport où les surprises restent encore très rares.

Quarts de finale. Donnés vainqueurs, l'Écosse, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Angleterre n'ont pas déjoué les pronostics. L'Écosse, en prenant les Samoans à leur propre piège : le plaquage à la limite de la régularité, qu'elle a pratiqué de manière aussi violente que ses adversaires, sortis néanmoins sous les ovations du public de Murrayfield. La Nouvelle-Zélande, avec panache, au terme d'une partie spectaculaire, jouée sous la pluie, qui a confirmé les progrès du rugby canadien. Les Australiens, à deux minutes de la fin du temps réglementaire, à la suite d'un dernier essai inscrit par leur demi d'ouverture Michael Lynagh, pour une fois laissé libre par les défenseurs irlandais, déchaînés sur leur pelouse de Lansdowne Road, mais trop limités techniquement, surtout lorsqu'ils ont à affronter David Campese, l'homme de cette Coupe du monde. Et enfin l'Angleterre, grâce notamment à l'arbitre néo-zélandais David Bishop que l'entraîneur des avants français, Daniel Dubroca, a traité de « tricheur » dans le couloir des vestiaires du Parc des Princes, pour avoir fermé les yeux sur les brutalités anglaises visant à éliminer Serge Blanco, dont c'étaient les adieux internationaux. Indépendamment du résultat, on reconnaît bien là le fair-play des Britanniques, qui n'avaient pourtant nul besoin de ces gestes inqualifiables pour l'emporter sur une équipe de France trop crispée par l'enjeu et pas assez entreprenante malgré l'essai marqué par Jean-Baptiste Lafond.