Mais les dernières années ont marqué un net recul de l'égalité. Dans les esprits comme dans les faits, la société s'est coupée en deux parties inégales, selon une ligne de démarcation essentiellement professionnelle (voir Le nouvel emploi). Le monde du public (celui des fonctionnaires, de la garantie de l'emploi et de la sécurité) s'est éloigné du monde privé (celui de la compétition et du risque). Dans le même temps, les écarts de salaires, et surtout de patrimoines, ont recommencé à s'accroître. La machine égalitaire s'est enrayée ; elle s'est mise à fabriquer de l'exclusion. L'Éducation nationale, principal outil de l'égalité des chances, cherche encore les solutions de l'avenir (voir Les enjeux de l'Éducation nationale).

De plus en plus, l'impression se fait jour dans l'opinion que l'inégalité est un avatar de la modernité et que la liberté peut entraîner le laxisme. Elle est à l'origine de la vague conservatrice qui s'est abattue sur la France après avoir recouvert les États-Unis. C'est donc aujourd'hui le besoin de fraternité qui apparaît prioritaire. Il ne se mesure pas seulement à l'aune des fonds recueillis par les Téléthon d'Antenne 2, les Restos du cœur ou l'appel de Charles Aznavour pour l'Arménie. Le souci de bonne conscience, le poids des images de télévision... et les déductions fiscales sont sans doute largement responsables de ces élans de générosité. Les signes les plus révélateurs de la recherche d'un supplément d'âme se trouvent ailleurs. Par exemple dans les sondages de popularité. Ce n'est pas par hasard que le commandant Cousteau, l'abbé Pierre, Haroun Tazieff et le professeur Schwarzenberg occupent les quatre premières places du sondage Ifop-Journal du Dimanche (19 février 1989) sur les personnalités les plus appréciées du public.

Tous quatre ont en commun d'être des humanistes. L'écologiste, le religieux, le vulcanologue et le cancérologue occupent en effet des postes d'observation privilégiés des souffrances actuelles de l'espèce vivante (humaine et animale) et des menaces qui pèsent sur son avenir. Leur discours est pris très au sérieux par les Français, qui, à défaut de pouvoir les élire comme représentants de la « société civile » au sein du monde politique (le séjour de Léon Schwarzenberg au gouvernement a été bref...), votent pour eux dans les sondages. C'est le même réflexe qui pousse les jeunes à choisir Renaud, Jean-Jacques Goldman ou Alain Souchon, chanteurs engagés ou « concernés » par les grandes questions du moment : l'apartheid pour le premier (« Jonathan »), la « vie par procuration » pour le second ; « l'ultramoderne solitude » pour le troisième.

Après avoir permis depuis sa création, en 1792, quelques avancées spectaculaires, la République est donc en panne. Les progrès passés ne sauraient faire oublier les injustices actuelles. Après avoir été longtemps « centripète », ce qui est sa fonction première, la société française est aujourd'hui « centrifuge » : elle tend à éloigner de son centre tous ceux qui n'ont pas les moyens (intellectuels, culturels, matériels, relationnels) de s'y maintenir. L'égalité est un mythe aujourd'hui balayé par le culte de l'individu, être suprême de cette fin de siècle. La liberté est un leurre pour tous ceux qui ne peuvent en faire usage.

Il reste l'espoir de la fraternité, vertu assurément nécessaire à l'aube du IIIe millénaire et des menaces qui pèsent déjà sur lui.

Gérard Mermet

Population

Il y a comme un frémissement dans les courbes de la démographie en France.

Certes le nombre de naissances reste étalé autour de 780 000 et l'indice de fécondité demeure autour de 1,8 enfant par femme. Les progrès de l'espérance de vie à la naissance (80,6 ans pour les femmes et 72,3 ans pour les hommes, en 1987) continuent : en cinq ans, le gain, pour la moyenne des deux sexes, a été de 1,6 an, contre 0,9 pour la période précédente. Surtout, le nombre de mariages augmente légèrement : 265 000 en 1987, 271 000 en 1988. Il pourrait y en avoir 280 000 en 1989. La variation est faible ; mais, succédant à une baisse ininterrompue depuis 1972, le retournement est significatif. Une période de transition s'achève. Le mariage n'est plus l'acte fondateur d'un couple mais en confirme la validité, souvent pour des besoins administratifs. Les remariages représentent une proportion croissante des mariages : 17 % des mariés et 16 % des mariées de 1988, contre 12 et 11 % de ceux de 1980.