Le public de la danse ne fait que croître. Il est aussi varié que les formes de spectacles, souvent divisé : il y a le grand public qui court au Bolchoï comme à un match de sport ou à Holliday on ice et entretient le culte de la super-star ; il y a les tenants du seul ballet classique, les supporters des groupuscules modernes et beaucoup de jeunes, curieux, sans culture chorégraphique et sans préjugés. La pratique de la danse qui s'est développée énormément dans toute la France, la politique d'animation et d'initiation menée dans les écoles et les maisons des jeunes et de la culture ont favorisé ce mouvement. Mais il y reste beaucoup à faire pour informer, sensibiliser et éduquer les futurs spectateurs.

Beauté plastique

La saison 1979-1980 a été brillante et animée, mais peu riche en créations chorégraphiques françaises, si l'on excepte les productions du Groupe de recherches théâtrales de l'Opéra où Carolyn Carlson continue à traduire ses rêves et ses fantasmes dans des images d'une grande beauté plastique. Year of the horse (L'année du cheval), directement inspiré de la philosophie yen et de la calligraphie japonaise, atteint les cimes du dépouillement et de la sérénité sans abandonner pour autant la dynamique de la danse occidentale. Avec sa dernière performance, présentée en février dernier à la salle Favart où elle jouait avec sa propre image projetée sur un grand écran démultipliant l'illusion jusqu'au vertige, elle a atteint une sorte de point de non-retour. En 1980, Carolyn Carlson doit quitter sa cage dorée de l'Opéra de Paris ; elle reviendra nous faire rêver épisodiquement.

L'attentisme qui semble avoir frappé l'ensemble des théâtres subventionnés s'explique par une série de nominations entraînant des bouleversements d'états-majors. Le choix de Bernard Lefort pour succéder à Rolf Liebermann à la direction de l'Opéra de Paris a pour conséquence l'éviction de la directrice de la danse, Violette Verdy, remplacée par Rosella Hightower. En poste depuis janvier 1977, Violette Verdy aura passé un an à rétablir le dialogue entre les danseurs et la direction. Elle aura eu peu de temps pour mettre ses idées en action. Du moins s'est-elle efforcée de promouvoir les jeunes éléments de la troupe, qu'elle a distribués dans des rôles importants (Giselle, Le spectre de la rose), et d'ouvrir le ballet vers l'extérieur.

Le demi-échec du chorégraphe britannique Kenneth Mac Millan, dont l'humour ne correspond sans doute pas à l'esprit parisien, une défection de Roland Petit, qui devait remonter Turangalila, et celle de Jerome Robbins, retenu à New York, ont compromis la saison de danse du Palais Garnier. Du moins Violette Verdy aura-t-elle réussi à faire remonter Sylvia, ballet centenaire de Léo Delibes. Et puis, cette année voit la confirmation des dons exceptionnels du jeune Patrick Dupont, une de ces merveilleuses machines à danser sur lesquelles les abonnés tiennent leur lorgnette fixée.

Bernard Lefort et son préposé à la danse (Georges Hirsch) préparent leur prochaine rentrée. Elle sera axée sur une ouverture contemporaine (Neumeier, Nikolaïs, Jennifer Muller), de nombreuses tournées en province et à l'étranger et sur la création d'un atelier chorégraphique animé par Jacques Garnier.

Retour de Béjart

Enjeu d'une surenchère entre la Ville de Paris et le ministère de la Culture et de la Communication, cette opération n'offrait à Béjart qu'un choix limité entre la disposition trois mois par an du Châtelet et un lieu permanent à Chaillot. Il a opté pour Chaillot où s'installera avec une petite troupe et son école Mudra également réduite. À cinquante ans, Béjart estime avoir passé le temps des grandes compagnies et souhaite surtout un endroit pour créer et un point fixe à partir d'où il pourra rayonner. Rien ne dit d'ailleurs qu'au dernier moment il ne préférera pas rester à Bruxelles ou partir ailleurs. Son impact sur le public reste aussi fort. Il a été accueilli au Bolchoï. À Paris, il a présenté au Palais des Sports ut Boléro dansé par Jorge Donn, son Petrouchka sans Vassiliev et L'amour du poète, épisode autobiographique inspiré de Fellini, plein d'idées, mais qui n'atteint cependant pas le génie de son modèle.