Alors que la Lulu triomphante de Paris émigre à la Scala, le grand théâtre italien nous envoie, fin mai, pour trois représentations, Wozzeck, dirigé par Abbado, et donne, toujours sous la direction de son chef vedette, le Requiem de Verdi aux Champs-Élysées, supérieurement interprété par Margaret Price, Christa Ludwig, Veriano Luchetti et Nicolai Ghiaurov. Enfin, la saison s'est achevée à l'Opéra par l'entrée au répertoire du premier grand triomphe de Verdi, Nabucco, partition grandiose qui bénéficie, comme Simon Boccanegra, d'une distribution de classe internationale avec Grace Bumbry, Viorica Cortez, Carlo Cossutta, Sherill Milnes et Ruggero Raimondi, sous la direction de Nello Santi.

Si l'Opéra conserve, en dépit des difficultés actuelles, un très haut niveau artistique, la Salle Favart (notre défunt Opéra-Comique) fait un peu figure de parent pauvre, avec de nouvelles productions montées souvent à l'aide de moyens médiocres et pas toujours à bon escient. On a eu un Médecin malgré lui de Gounod fort honnête, mais alourdi par un interminable prologue rajouté ; ce spectacle révèle, cependant, un excellent baryton, Jean-Philippe Lafont.

La charmante Véronique de Messager ne dépasse pas le niveau d'une gentille production provinciale d'autrefois et le délicat Tom Jones de Philidor est alourdi par une mise en scène trop appuyée de Jacques Fabbri, dans des décors d'une sorte de misérabilisme enfantin.

C'était déjà un choix curieux d'avoir réexhumé Le marchand de Venise de Reynaldo Hahn, où la veine aimable et légère du compositeur de Ciboulette se perd le plus souvent dans les sombres méandres de l'âme tortueuse de Shylock ; mais la mise en scène aberrante et outrée n'a rien arrangé. Seule consolation, la découverte d'une voix, dans la lignée de celle de Régine Crespin, en la personne de Michèle Command. C'est finalement par le cycle de spectacles consacrés à l'intégrale de l'œuvre d'Erik Satie que la Salle Favart se sera cette année le mieux signalée à l'attention des mélomanes.

Dans le cadre de ses concerts lyriques, Radio-France a remis à l'honneur des partitions oubliées, ou peu connues, comme Mazappa de Tchaïkovski, Alfonso et Estrella de Schubert, Scipio de Haendel et surtout Sapho de Gounod qui, pour beaucoup, a été une découverte et qui révèle une jeune cantatrice américaine, Catherine Ciesinski, et un chef plein de promesses, Sylvain Cambrelling.

Province

Il serait injuste de ne pas mentionner l'effort accompli par les théâtres de province pour sortir le répertoire lyrique des sentiers battus. C'est ainsi que, cette saison, les amoureux du théâtre lyrique ont pu entendre notamment : Le monde de la lune de Haydn, à Lyon ; Le Cid de Massenet, à Saint-Étienne ; Mignon d'Ambroise Thomas, à Avignon ; Maria Stuarda de Donizetti et Don Carlos de Verdi (tous deux avec la Caballé), à Nice ; Macbeth de Verdi, à Marseille ; Le fou de Landowski, Padmavati de Roussel et Orphée de Gluck, à Strasbourg ; Anna Bolena de Donizetti et La basoche de Messager, à Rouen ; Ercole Amante de Cavalli, à Lyon ; Le roi d'Ys, à Nancy ; Les pêcheurs de perles de Bizet, dans la version originale, à Bordeaux ; Le viol de Lucrèce, à Angers ; et deux chefs-d'œuvre de l'opérette, L'étoile de Chabrier, à Metz, et La grande duchesse de Gerolstein d'Offenbach, à Toulouse.

Musique contemporaine

Cette saison pour la musique contemporaine se devait de rendre hommage à son pape, Olivier Messiaen, à l'occasion de son 70e anniversaire. En attendant l'opéra que Messiaen a promis à Rolf Liebermann, l'hommage rendu est à la hauteur de sa prodigieuse suprématie, puisque presque tous les compositeurs connus d'aujourd'hui sont passés par ses mains. Entre décembre et janvier, pendant un mois et quatre jours de manifestations diverses, 88 de ses œuvres ont été jouées au cours de 47 concerts, dont 20 à Paris. Les deux galas les plus spectaculaires de ces tributs émouvants sont l'exécution de sa Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ par les chœurs et l'orchestre national de Radio-France, aux Invalides, sous la direction de Lorin Maazel, et le grand concert donné à l'Opéra par Pierre Boulez, où un triomphe inouï a accueilli la dernière œuvre de Messiaen, Des canyons aux étoiles.