Ses derniers tableaux (La vague, La mer à Trouville) auraient pu très bien figurer dans l'exposition impressionniste de 1874, dans l'atelier de Nadar. Un photographe, comme par hasard. (Les demoiselles des bords de Seine, huile sur toile.)

Le siècle de Rubens / Le XVIIe flamand au Louvre (Grand Palais, 18 nov. 1977 - 13 mars 1978) / (26 novembre 1977 - 27 mars 1978)

Qui du réel ou de l'allégorie a contaminé l'autre ? C'est le problème singulier que pose Rubens. A-t-il, de parti pris humaniste, humanisé l'Olympe ? Ou n'a-t-il fait appel aux divinités antiques que pour le seul plaisir de peindre des nus ? Une chose est sûre, c'est qu'il peignait gros, et qu'il faut en voir peu, du moins dans l'espace glauque et pompeux des musées. Car, à prendre ses toiles pour ce qu'elles sont, de merveilleux décors de baraques foraines ou de royaumes parvenus, Rubens est un peintre. Mais le réel n'est pas plus à sa place dans cette peinture que le Cerf dans la salle à manger de Pieter Boel. Quand il s'échappe par hasard de la convention et de la commande, Rubens a l'audace romantique : on regarde Delacroix d'un autre œil après L'enlèvement de Proserpine (Petit Palais), Le martyre de sainte Lucie (Quimper), et surtout la Chasse au tigre (Rennes). Le reste va de la représentation baroque et pétrifiée d'une humanité travestie à la mise en scène dramatique.

Il est vrai que ce siècle tranche de la même façon dans le fauve ou la baudroie et dans la chair de la vierge martyre. Sur un compotier rempli de pêches ou sur la nudité grumeleuse des nymphes chasseresses, le peintre promène un œil unique. Œil de Dieu. Peintre-voyeur. D'où la nécessité profonde de l'allégorie, comme expressionnisme de la vie intérieure. Le peintre matérialise l'espace du dedans ; le spectateur de cette théâtralisation s'efforce de retrouver l'intériorité par une lecture symbolique. Apparat social, appareil du pouvoir, apparition miraculeuse : la vérité se donne à voir ; être vu est le signe de la puissance et de l'existence. De la Libéralité princière (Rubens, Lille) à la montre gargantuesque de la Poissonnerie (Snyders), le siècle de Rubens est le siècle de l'étalage. (Diane et ses nymphes s'apprêtant à partir à la chasse, Paris.)

Systématique

Faut-il avec nombre de critiques d'art français et étrangers chercher la raison de cette passion rétro dans l'essoufflement conjugué des réserves des musées et de l'avant-garde des années 60 ? Cadence trop rapide d'expositions présentant des mouvements ou des courants insuffisamment différenciés (pop'art, art minimal, art pauvre, land art, process art, art conceptuel, art corporel, art vidéo, etc.), contestés aussitôt qu'apparus par un groupe ou une école plus radicale et plus systématique ? Ne peut-on également penser que l'histoire et la critique d'art participent de la grande orientation contemporaine de la critique en général qui procède par relectures, réévaluations et recherche de perspectives nouvelles sur les genres et les formes reconnus et sacralisés ? Et pourquoi ne pas faire appel au jeu naturel des générations : Lichtenstein, Oldenburg, Andy Warhol ont l'âge non des manifestes mais des rétrospectives ?

Il y a, en réalité, à cette résurgence du passé des causes plus profondes, que la dernière Biennale de Paris, au mois d'octobre, révélait dans sa confusion, sans jamais atteindre à leur conscience claire ni à leur analyse.

D'une part, en effet, la jeune peinture est moins soucieuse d'aller de l'avant que d'être suivie : les artistes écrivent, téléphonent, pétitionnent, « relations-publiquent » ; même ceux qui récusent l'art officiel réclament l'intervention des médias et de l'école. D'autre part, peintres, sculpteurs, plasticiens convient le spectateur à participer au commentaire multiple et incessant qu'ils tiennent sur l'œuvre dans des termes empruntés à la problématique du siècle dernier, notamment à la grande question du réalisme. On en est encore à chercher une « définition » de l'art ! Tandis que le discours sur l'art s'obstine à décrire un monde englouti, la pratique plastique s'acharne à cerner un univers qui n'est pas encore définitivement constitué.

Signes

C'est dans cette dissonance, dans cette rupture que réside le désir profond d'origines, de traditions, d'ancrages. Notre époque, et pas seulement l'artiste, connaît une déperdition du réel et une inflation des signes. Pour qui s'arrête un instant sur les rapports quotidiens qu'il entretient avec le monde des objets – perceptions, sensations, parcours – ou le réseau des relations humaines, une évidence s'impose – que tous les systèmes idéologiques s'emploient à offusquer : nous n'avons de contact direct qu'avec les images des choses, leurs signes codés, leurs signalements. Nous vivons en sémiocratie, et le monde commence à ressembler à son image audio- ou télévisuelle.