Arts

Retours et redites

Paradoxe ? À peine lancée la grande machine de Beaubourg qui propulse l'œil à facettes de la foule vers les mondes futuribles, on s'empresse de revenir à l'art du passé. Année de bilans, de rétrospectives, d'expositions érudites. Aux États-Unis, les deux plus grandes manifestations artistiques ont été consacrées à Cézanne et à Matisse ; en Europe, à Rubens et à Courbet. On rend compte et on fait les comptes.

Henri Michaux (Centre Georges-Pompidou, 15 mars-14 juin 1978)

Si, avant sa rencontre, à 24 ans, avec Max Ernst et Paul Klee, Michaux avait pour le peintre, homme de surface et d'apparences, la méfiance du poète, il n'en était pas moins préoccupé par la projection de l'« espace du dedans » sur une ligne unique, « somnambule », jamais fermée. Écrire, dessiner et peindre lui sont ainsi très tôt apparus comme des modes différents d'une même participation au monde. Et ses premiers dessins sont des Alphabets. Au-delà des périodes, des matières et des techniques, des expériences hallucinogènes, l'œuvre de Michaux témoigne d'un même mouvement tenace : signe, idéogramme ou trace, la poésie fait image et la toile devient naturellement narration.

Gustave Courbet (Grand Palais, 1er octobre 1977 - 2 janvier 1978)

La célébrité de Courbet est un bon exemple de la cécité esthétique qui frappe successivement chaque génération. « Réaliste » a d'abord été une injure (comme plus tard « impressionniste ») reprise en chœur par les bourgeois repus mais inquiets du « petit » Empire, et l'étiquette a été pieusement ramassée par les critiques d'art et les guides de musées : Courbet lève donc le bras triomphant de l'« hercule forain » du réalisme, tel qu'en lui-même l'histoire de l'art le travestit.

Il suffit cependant de voir...

Mais il faut avouer qu'il n'est pas facile de regarder simplement Courbet. Un tableau pourrait résumer son destin : cette étonnante composition de la Toilette de la morte maladroitement transformée en Toilette de la mariée pour des besoins commerciaux.

Il y a toujours quelque chose derrière un tableau de Courbet, « une pensée qu'on ne peut comprendre » et qui exaspérait Delacroix. Œuvre continûment allégorique et dont L'atelier, « histoire morale et philosophique », livre une des clés.

Œuvre qui renvoie plus souvent à la culture qu'à la nature : « Courbet peint comme les vieux », disait Cézanne. Dès l'Autoportrait au chien noir (1842), il fait un clin d'œil à Bellini et, sous l'Homme à la ceinture de cuir (1843), la radiographie décèle une copie de l'Homme au gant de Titien. Courbet n'a-t-il pas été le premier à brouiller les cartes quand, sous l'influence de Proudhon, il réinterprète son œuvre dans un sens socialiste ? La Vénus callypige des Baigneuses lâchée dans la forêt comtoise ? Ses chairs flasques dénoncent la paresse de la bourgeoisie ! Les Demoiselles des bords de Seine ? Une image du dégoût né du loisir et du luxe ! Il apportait ainsi de l'eau au moulin de ses contemporains, pour qui « faire vrai » c'était « faire laid ». Réel ou caricature ? Faux problème, et Courbet le dit dans le catalogue de son exposition de 1855, quand il présente, dans un one man show qui stupéfie Paris, ses tableaux refusés à l'Exposition universelle : « Être à même de traduire les mœurs, les idées, l'aspect de mon époque, selon mon appréciation. » On est loin du réalisme impersonnel à la Flaubert. Courbet est « un œil », disait Ingres, pas un objectif photographique. Comment le croire d'ailleurs devant cet étalement narcissique, cet autoportrait sans cesse repris, figure minuscule face aux flots du Bord de mer à Palavas ou créateur jupitérien de L'atelier ? Courbet a joué tous les rôles : romantique costumé (Coup de dames) et poète hagard (Le désespéré), artiste terrassé (L'homme blessé) ou génie reconnu (Bonjour, Monsieur Courbet). Le réel, c'est lui. Un génie en grand format. Et c'est cela au fond qui gênait ses contemporains : il peignait des êtres grandeur nature. Pas des représentations, des doubles. D'ailleurs Courbet, dans son œuvre, disparaît avec l'homme.