Tolède

en espagnol Toledo

Tolède
Tolède

Ville d'Espagne, capitale de Castille-La Manche et chef-lieu de province, sur le Tage.

  • Population : 83 741 hab. (recensement de 2017)

Archevêché dont le titulaire est primat d'Espagne ; académie d'infanterie. Armes blanches renommées. Centre touristique.

L'HISTOIRE DE TOLÈDE

1. Conquise par les Romains

Avant la conquête romaine de l'Espagne, Tolède était la capitale des Carpetans. Conquise en 192 avant J.-C. par les Romains, elle devient un municipe cité par l'historien Tite-Live, qui l'appelle Toletum. Colonie de Rome durant les trois premiers siècles de notre ère, Tolède subit les invasions barbares.

2. Capitale des Wisigoths

Les Wisigoths en font le centre d'un vaste empire qui comprend la province gauloise de Narbonnaise. Le roi wisigoth Leovigild (573-586) y établit la capitale de ses États : sa dynastie y régnera jusqu'en 709.

Tolède joue également un rôle religieux très important ; à partir du ve s., de nombreux conciles nationaux s'y tiennent. C'est au cours du concile de Tolède de 586 que le roi Reccared Ier abjure l'arianisme. En 681, le XIIe concile de Tolède proclame la suprématie du siège tolédan sur toute l'Église d'Espagne.

Après le règne du roi Wamba, la monarchie wisigothique tombe en décadence (début du viiie s.) ; un étranger à la dynastie, le duc de Bétique, Rodrigue (?-711), est élu roi (710). Peu après, les Arabes, profitant de divisions internes, franchissent le détroit, et leur chef, Tariq ibn Ziyad, bat l'armée de Rodrigue à la bataille de Guadalete (19-26 juillet 711) avant de s'emparer de Tolède et de toute l'Espagne.

3. Dépendance du califat de Cordoue

Durant trois siècles, l'ancienne capitale des rois goths est une simple dépendance du puissant califat de Cordoue. Au début du xie s., elle devient la capitale d'un petit royaume maure indépendant qui a secoué le joug des califes omeyyades. À cette époque, son rayonnement intellectuel est considérable ; ses écoles juives, où enseignent Abraham Ibn Ezra et Juda Halevi (vers 1075-vers 1141), sont célèbres.

4. Capitale du royaume de Castille

Le roi Alphonse VI de Castille reprend Tolède aux musulmans en mai 1085. Il y élève une forteresse, l'Alcázar, dont le premier gouverneur est le Cid Campeador.

Les rois Alphonse VIII et Alphonse X le Sage renforcent les fortifications, qui résistent victorieusement à plusieurs assauts des troupes arabes. Tolède demeure jusqu'en 1561 la capitale du royaume de Castille, puis d'Espagne.

Les Rois Catholiques embellissent la ville : leur fille, Jeanne la Folle, y naît en 1479, mais la prospérité de Tolède est atteinte par les mesures prises par les Rois Catholiques contre les Maures et les Juifs.

Au début du xvie s., Tolède est au cœur de la révolte des comuneros, partisans du pouvoir local opposés au centralisme des Habsbourg. Après la défaite et la mort du chef de la rébellion, Juan de Padilla, sa veuve, María Pacheco (?-1531), retranchée dans Tolède, résiste longtemps (1521-1522) aux armées de Charles Quint.

5. « Cité impériale et couronnée »

En 1561, Philippe II transfère sa capitale à Madrid ; Tolède garde le titre de « cité impériale et couronnée ». Si elle perd son rang politique, elle conserve son rayonnement artistique, illustré par le Greco.

6. Le siège de l'Alcázar

Depuis la fin du xixe s., l'alcázar de Tolède abrite l'académie d'Infanterie. Pendant la guerre civile (1936-1939), les élèves de l'école militaire adhèrent au Mouvement national du général Franco ; sous la direction du colonel José Moscardó, les cadets et des partisans nationalistes y soutiennent, du 22 juillet au 27 septembre 1936, un siège mémorable contre les milices républicaines avant d'être délivrés par les troupes franquistes du général J. E. Varela.

TOLÈDE, VILLE D'ART

En dehors de quelques éléments de fortifications, il ne subsiste rien de la Tolède wisigothique. Son premier monument notable illustre l'histoire de l'architecture musulmane à la fin du califat de Cordoue. Il s'agit d'une ancienne mosquée construite vers l'an 1000, transformée en église et agrandie après la Reconquête chrétienne : l'ermita del Cristo de la Luz. L'appareil de brique, le décor mural et l'usage des voûtes nervées témoignent d'une heureuse fusion entre les influences andalouses et d'anciennes traditions locales.

Même après la Reconquista, Tolède, qui avait conservé un fort noyau de peuplement musulman, continua à entretenir des rapports suivis avec l'Andalousie. On ne s'étonnera donc pas d'y trouver un foyer d'art mudéjar vivant et original, qui sut tirer des effets pittoresques de l'usage de la brique. Il est à l'origine de nombreuses églises monastiques et paroissiales. Certaines sont à nef unique, d'autres dotées de collatéraux communiquant avec le vaisseau central par de grandes arcades outrepassées. Toutes sont couvertes de plafonds artesonados, l'abside seule étant voûtée. Les clochers sont de véritables minarets décorés sur leurs quatre faces de panneaux d'arcatures et d'entrelacs. D'autres arcatures apparaissent à l'extérieur des absides.

Les chefs-d'œuvre de l'art mudéjar tolédan sont deux anciennes synagogues : Santa Maria la Blanca et le Tránsito. La première, qui remonte au xiiie s., ne compte pas moins de cinq nefs dont les arcs outrepassés retombent sur des piles prismatiques par l'intermédiaire de très beaux chapiteaux. Le décor comprend en outre des revêtements muraux en plâtre d'un dessin sobre et ferme. Le Tránsito, qui date du xive s., offre un contraste voulu entre l'extérieur, très dépouillé, et une somptueuse ornementation intérieure, imitée de celle des monuments de Grenade.

La puissance de l'implantation mudéjare allait gêner le développement de l'art gothique. Celui-ci s'introduit à Tolède avec l'ouverture du chantier de la cathédrale. L'archevêque Rodrigo Jiménez de Rada (1170-1247), que ses études et ses voyages avaient mis en rapport avec divers milieux européens, souhaitait officier dans un édifice de type français. De fait, le monument, commencé un peu avant 1226 par un certain maître Martin, s'inspire de la cathédrale de Bourges. Il ne respecte cependant pas les proportions du modèle, et de nombreux détails trahissent des apports mauresques. Sans cesse enrichie de nouveaux apports au cours des temps, la cathédrale de Tolède est devenue un prodigieux musée dont on épuise difficilement les richesses. Parmi celles-ci, il convient de distinguer la chapelle funéraire du connétable Álvaro de Luna, mis à mort en 1453, qui occupe l'emplacement de plusieurs anciennes chapelles rayonnantes du déambulatoire. Ce témoignage de la fidélité d'une veuve, doña Juana Pimentel (?-1488), constitue une sorte de manifeste du gothique tardif.

Un autre chef-d'œuvre de cette manière artistique est représenté par l'église San Juan de los Reyes, construite sous la direction de Juan Guas (?-1496), l'architecte espagnol le plus en vue de la fin du xve s. Chapelle d'un couvent franciscain, elle était aussi destinée à l'origine à recevoir la sépulture des Rois Catholiques. Ainsi s'explique qu'un riche décor s'y déploie, comme dans le cloître voisin.

Le fait mudéjar, présent à toutes les époques – Taller del Moro, xive s. ; palais de Fuensalida, Casa de Mesa, Santa Isabel de los Reyes, xve s. –, allait encore donner une coloration originale à l'art plateresque, la première manifestation de la Renaissance en Espagne. On a pu parler d'un « style Cisneros » pour caractériser les œuvres qui résultèrent du mécénat de l'archevêque Francisco Jiménez de Cisneros (1436-1517). Le monument le mieux conservé en est la salle capitulaire de la cathédrale, bâtie entre 1504 et 1512 par Enrique Egas (?-vers 1534), l'architecte des Rois Catholiques, et Pedro Gumiel, l'architecte privé de l'archevêque. Quant au décor peint, il fut exécuté par le Français Jean de Bourgogne (Juan de Borgoña, vers 1465- vers 1536), et son atelier, entre 1509 et 1511, dans un style très influencé par l'Italie. Enrique Egas a encore dirigé à Tolède la construction de l'hôpital de la Santa Cruz (1504-1515), en forme de croix comme ceux de Saint-Jacques de Compostelle et de Grenade, qui sont également son œuvre.

On peut suivre les progrès de l'art de la Renaissance dans un autre hôpital, celui de San Juan Bautista, conçu à la demande du cardinal-archevêque Juan Pardo de Tavera (1472-1515) par le secrétaire du prélat, Bartolomé Bustamante (1501-1570). Ce savant humaniste s'assura la collaboration technique de l'architecte Alonso de Covarrubias (1488-1570), qui se montra un bon disciple de Vignole. Covarrubias dirigea également la reconstruction du vieil alcázar, où l'on verrait la manifestation la plus achevée de son art, si ce monument exemplaire, auquel travailla ensuite Juan de Herrera (vers 1530-1597), l'architecte de l'Escorial, n'avait été touché à mort pendant la guerre civile. Il a dû être en grande partie reconstruit.

L'installation de la cour à Madrid, à partir de Philippe II, allait progressivement condamner Tolède à la vie retirée d'une ville de province. Ses derniers grands jours correspondent au séjour du Greco, qui y épousa l'âme fervente de l'Espagne. On se rendra dans la capitale déchue pour suivre l'itinéraire spirituel d'un être d'exception. Les principales étapes de ce pèlerinage seront la maison du Greco, le Musée provincial à l'hôpital de la Santa Cruz, l'hôpital Tavera, la cathédrale – où Espolio voisine avec le Baiser de Judas de Goya – et Santo Tomé pour l'Enterrement du comte d'Orgaz.

Les disciples du Greco assurèrent encore un certain prestige à la ville en cultivant très tôt, et en diffusant, le ténébrisme. On continua en outre à embellir la cathédrale. Derrière l'abside, Narciso Tomé (?-1742) aménagea son Transparente (1721-1732) aux effets théâtraux, l'une des œuvres les plus étonnantes du rococo espagnol. Peu à peu, cependant, la vie se retirait, et Tolède devenait une simple ville-musée.