libellule

Libellule
Libellule

Avec leurs superbes couleurs et leurs ailes en dentelle finement travaillée, les libellules animent de leurs vols rapides les lacs et les rivières depuis des millions d'années.

1. La vie des libellules

1.1. Des proies saisies en vol

Les æschnes sont carnivores et ne capturent que des proies vivantes, volantes et abondantes dans le milieu où elles se trouvent. Leur régime alimentaire est constitué de diptères (moustiques, mouches) et d'éphémères. Elles ne s'attaquent que très rarement à des proies de grande taille, comme les zygoptères (demoiselles) ou les papillons.

Techniques de chasse

L'æschne distingue très facilement ses proies grâce à ses yeux de grande taille et à la mobilité de sa tête. Elle les repère lorsque celles-ci sont au-dessus d'elle, puis les approche par-dessous. Les vols alimentaires ont généralement lieu loin des points d'eau. Les æschnes sont très agiles et peuvent aussi suivre leurs proies en volant avant de les capturer. À la tombée de la nuit, on voit parfois plusieurs æschnes chasser un même essaim de moucherons, sans agressivité entre elles.

Une toilette après le repas

La libellule capture ses proies à l'aide de ses deux paires de pattes avant, puis les déchiquette avec ses mandibules. La capture et la consommation des proies se font toujours en vol. Toutefois, si la proie capturée est de grande taille (un papillon, par exemple), il arrive que l'æschne se pose pour l'ingérer. Ce comportement, fréquent chez d'autres espèces, et particulièrement chez les libellulidés, est rare chez les æschnes. Une fois qu'elle a consommé sa proie, l'æschne a pour habitude de faire sa toilette.

Un masque redoutable

Les larves d'æschnes ne s'attaquent qu'à des proies vivantes et en mouvement, mais leur régime alimentaire est plus diversifié que celui de leurs aînées. Leurs menus varient en fonction des saisons, et la taille des proies est en nette corrélation avec celle des larves. En été, elles consomment plus volontiers des larves de diptères, d'éphémères et de zygoptères, alors que, en hiver, elles préfèrent les héteroptères (punaises) et les larves de phryganes.

Toutes les libellules, au stade larvaire, détectent leur proie visuellement. Pour la saisir, elles peuvent procéder de deux façons : à l'affût ou de façon active. À l'affût, elles sont accrochées à un support et, lorsqu'une proie passe à proximité, elles projettent leur masque labial de façon fulgurante, en 25 millisecondes. Ce masque (nom de la lèvre inférieure des larves), replié sous la tête et le thorax lorsqu'il est au repos, est contrôlé par les muscles labiaux et les contractions abdominales qui forcent la circulation du sang vers l'avant. Il est pourvu de crochets terminaux qui ont pour fonction de saisir la proie. Les larves peuvent aussi adopter une chasse plus active en suivant leur proie, ne lançant leur masque qu'au moment où celle-ci est correctement orientée vers elles.

1.2. Un accouplement de haute voltige

La vie de la libellule adulte se décompose en trois phases. La première est une phase de maturation (en particulier sexuelle) pendant laquelle les mâles acquièrent leurs belles couleurs et s'éloignent des points d'eau. Cette phase de maturation est plus courte chez les mâles (entre 7 et 12 jours) que chez les femelles (entre 13 et 16 jours), et cette différence explique pourquoi les mâles arrivent toujours les premiers sur les sites de reproduction.

Un terrain réservé au mâle

La deuxième phase de la vie de la libellule est celle de la reproduction. Elle se déroule entre fin juin et début octobre, et dure en moyenne 60 jours.

Au cours de cette période, les libellules font de longues apparitions sur les sites de ponte et adoptent un comportement territorial. Les territoires, relativement étendus, sont exclusivement défendus par les mâles. Il est donc rare de voir plusieurs mâles patrouiller au-dessus d'un même point d'eau.

Les interventions du mâle pour défendre son domaine varient selon l'espèce d'odonate qui s'y aventure. En général, le mâle n'éloigne de son territoire que les autres æschnes mâles et les anisoptères de taille similaire, comme l'æschne des joncs (Aeshna juncea). En revanche, dès qu'une femelle traverse son territoire, le mâle s'en approche rapidement et tente de l'attraper pour s'accoupler.

Une reconnaissance délicate

Contrairement au mâle, bon voilier, capable d'exécuter de véritables prouesses de voltige qui le rendent aisément repérable sur un étang, la femelle, plus discrète, rase l'eau d'un vol rapide.

Le mâle et la femelle ne se reconnaissent donc pas immédiatement. À l'occasion, ils peuvent même s'accoupler entre espèces différentes. L'attraction sexuelle peut également s'exercer entre deux mâles.

La reconnaissance s'effectue par la vue, grâce aux couleurs du thorax et de l'abdomen, qui fonctionnent comme indices. Toutefois, les mâles sont capables de discerner les femelles quand elles ne volent pas, ce qui les conduit parfois à commettre des erreurs et à courtiser une femelle morte.

Un accouplement « circulaire »

Dès qu'un mâle repère une femelle, il l'attrape par la tête à l'aide d'appendices qu'il porte à l'arrière du corps, appelés « cerques abdominaux ». Ensuite, la femelle recourbe et place l'extrémité de son abdomen contre le deuxième segment abdominal du mâle. Entre-temps, le mâle transfère son sperme du huitième au second segment, adoptant une posture caractéristique, en cercle.

La femelle arrimée à l'abdomen du mâle, les deux libellules exécutent quelques zigzags dans le ciel, puis se posent sur des végétaux, mais seul le mâle s'accroche à une tige. L'accouplement dure environ dix minutes s'il n'est pas perturbé par les conditions climatiques ou l'arrivée impromptue d'un autre mâle.

L'accouplement terminé, le mâle lâche la femelle et reprend ses acrobaties aériennes. Quant à la femelle, elle demeure quelques instants sur les végétaux avant de partir en quête d'un site favorable à la ponte.

L'accrochage du mâle et de la femelle

L'accrochage du mâle et de la femelle



Lors de l'accouplement, le mâle attrape la femelle avec ses deuxième et troisième paires de pattes, qu'il pose sur le synthorax de la femelle. Il touche de sa première paire de pattes les antennes de celle-ci, puis, si elle est consentante, il la saisit au niveau de l'articulation tête-abdomen à l'aide de ses appendices anaux. L'accouplement peut alors se dérouler.

Quand la ponte devient stratagème

La femelle dépose les œufs sur l'eau, dans des végétaux morts, voire dans des mousses, exceptionnellement dans des végétaux vivants. À l'aide de sa petite tarière, organe allongé situé à l'extrémité de l'abdomen, elle perce le tissu des plantes pour y insérer ses œufs, qu'elle range soit en ligne droite, soit en deux rangées parallèles.

Elle peut s'accoupler plusieurs fois, mais elle n'interrompt jamais une séquence de ponte. L'insistance des mâles ne fait pas déroger à cette règle. Elle adopte donc quelquefois la posture de la ponte pour échapper à leurs assiduités.

La post-reproduction

La troisième phase de la vie de l'æschne commence après la reproduction. Rares sont les individus qui atteignent cette phase. En effet, la plupart des adultes meurent pendant la période de reproduction.

Durant cette dernière partie de leur vie, les æschnes se rendent de moins en moins souvent sur les sites de ponte. Leurs couleurs se ternissent peu à peu, et leurs ailes s'abîment.

1.3. Plus de dix mues pour devenir adulte

Les œufs (jusqu'à 80) sont de petite taille : ils mesurent environ 1,75 mm de hauteur pour 0,4 mm de diamètre. Légèrement arqués, de couleur brun-orangé, ils sont surmontés d'un prolongement transparent.

Des larves nageuses

Durant le printemps qui suit la ponte, vers le mois de mai, la larve sort de l'œuf. Translucide, elle est souvent appelée prolarve, ou larve primaire, et ressemble davantage à un alevin qu'à une larve de libellule. À ce stade, elle mesure au plus 3 mm de long. Tout juste éclose, elle mue pour la première fois. La larve possède alors toutes les caractéristiques de la larve d'æschne : la corbeille branchiale (cavité située à l'extrémité de l'abdomen, qui abrite les branchies) et le masque labial sont déjà fonctionnels. Elle se déplace en nageant à l'aide de ses pattes et n'adoptera la nage à propulsion que lors de la mue suivante.

De multiples mues

Au cours de son développement, la larve mue plus d'une dizaine de fois. Le nombre de mues réalisées avant l'âge adulte et l'intervalle entre deux mues dépendent des conditions climatiques, de la disponibilité alimentaire et de facteurs génétiques.

En se développant, le nombre de segments articulés composant les antennes passe de 3 lors de l'éclosion à 7 en fin de développement larvaire. La taille des yeux augmente, multipliant ainsi le nombre d'ocelles.

Des développements variables

Les jeunes larves issues d'œufs pondus au début de la saison de reproduction atteignent leur fin de croissance à l'orée de l'hiver. Elles seront les premières à émerger le printemps suivant. En revanche, les larves issues d'œufs pondus en fin de saison de reproduction (fin septembre) connaissent une croissance ralentie, voire interrompue, lors de la mauvaise saison. Il leur faut donc une année supplémentaire pour effectuer la totalité de leur développement. Les larves apparues en milieu de saison finissent leur croissance l'année suivante et émergent plus tardivement, l'été.

Ultimes métamorphoses

Dix jours avant l'émergence, les ailes de la larve se gonflent progressivement dans les fourreaux alaires. La respiration cesse d'être aquatique (par utilisation de l'oxygène dissous dans l'eau) pour devenir terrestre. Six jours avant l'émergence, la corbeille branchiale se résorbe. Le masque labial se transforme également : les muscles se résorbent, puis disparaissent. Il n'est plus fonctionnel et devient transparent. La taille des yeux augmente très rapidement, jusqu'à ce qu'ils se rejoignent sur le dos. Enfin, les larves choisissent leur support d'émergence. Elles grimpent sur une tige, un carex ou un roseau et peuvent ainsi émerger hors de l'eau jusqu'à 40 cm de hauteur.

1.4. La métamorphose

Les émergences ont généralement lieu à la tombée de la nuit. Les premières larves quittent le milieu aquatique vers 20 heures. Les larves sur le point d'émerger adoptent une position verticale. Une demi-heure plus tard, le thorax se gonfle ; les premiers déchirements de cuticule entre les fourreaux alaires se produisent. C'est le thorax qui apparaît le premier, puis surgissent la tête, les pattes, et enfin les ailes, encore fripées. Avant la sortie de l'abdomen, l'æschne se repose, la tête en bas. Puis, par des mouvements de balancier, la libellule se retrouve tête en haut en se raccrochant à son exuvie (enveloppe rejetée lors de chaque mue) et dégage son abdomen. Enfin, les ailes et l'abdomen se gonflent. Vers 22 heures apparaissent les premières æschnes adultes. Elles n'effectuent leur premier vol qu'à l'aube, vers 3 ou 4 heures du matin.

Si la température de l'air se refroidit brutalement, les æschnes qui ont amorcé leur émergence en grimpant sur les végétaux retournent rapidement à l'eau. Bien qu'ayant perdu un certain nombre de fonctions biologiques (comme la respiration branchiale), elles peuvent malgré tout y rester jusqu'au lendemain matin, à attendre la remontée de la température. Pour se déplacer dans l'eau, elles sont contraintes de nager comme elles le peuvent, avec leur abdomen, incapables, désormais, de pratiquer la nage à propulsion.

Les æschnes bleues ne semblent pas présenter d'émergence synchronisée, contrairement à l'anax empereur (Anax imperator), par exemple. En effet, 50 % des émergences se font lors des 25 premiers jours, et 75 % dans les 33 premiers jours. Le taux de mortalité lors de l'émergence est de 12 % ; on en connaît trois causes : les facteurs météorologiques (comme le vent, la pluie, ou une baisse importante de température) ; la surpopulation (les individus ayant choisi un même support d'émergence montent les uns sur les autres et s'abîment les ailes) ; la prédation, enfin, qui peut s'exercer à chaque stade de l'émergence.

1.5. Milieu naturel et écologie

La répartition actuelle des odonates est très variable suivant les espèces. Certaines espèces sont méditerranéennes, comme Brachythemis leucosticta, d'autres paléarctiques, comme l'æschne bleue, d'autres encore circumboréales, comme la libellule à quatre taches, Libellula quadrimaculata. Certaines espèces d'anisoptères sont migratrices, tels la libellule déprimée, Libellula depressa, et l'anax porte-selle, Hemianax ephippiger.

De fins stratèges

La mortalité due à la prédation chez les æschnes est relativement faible durant la vie adulte. Les deux moments de leur vie où elles peuvent être le plus aisément capturées sont l'émergence et la ponte. Les œufs eux-mêmes d'odonates ne semblent pas être recherchés par les prédateurs, bien que l'on en ait trouvé dans les estomacs de certains poissons. Le facteur principal de mortalité des jeunes larves dans les œufs est la dessiccation  lors de variations importantes du niveau des eaux.

Les poissons sont de grands prédateurs des larves d'æschnes, mais aussi d'autres invertébrés aquatiques, comme les larves de dytiques ou les larves d'autres espèces de libellules.

Les espèces de libellules cohabitant avec les poissons présentent certaines caractéristiques morphologiques et comportementales : aplatissement dorso-ventral, chasse à l'affût, rythme d'activité décalé par rapport aux prédateurs. Toutefois, plus les larves grandissent, moins les prédateurs se font nombreux.

La morphologie des æschnes présente des signes particuliers d'adaptation qui les aident à se préserver des prédateurs (épines caudales sur les derniers segments abdominaux). La larve peut replier son abdomen jusqu'au niveau de la tête, déployant ses épines pour se dégager des mauvaises situations. Elle peut aussi développer des comportements antiprédateurs efficaces ; parfois, par exemple, elle se fige, simulant une larve morte.

Le salut par la fuite

En outre, les larves d'æschnes peuvent fuir très rapidement grâce à leur mode de déplacement spécial, par propulsion : elles évacuent l'eau contenue dans leur rectum, remuant simultanément leurs six pattes d'avant en arrière, contrairement aux autres espèces de libellules, qui alternent les mouvements de leurs trois paires de pattes. Lors de menaces plus directes, elles peuvent aussi attaquer le prédateur en lui lançant leur masque labial.

Les larves de certaines espèces sont également douées d'autotomie : leurs pattes se détachent et se régénèrent facilement au cours des mues ultérieures.

Des oiseaux ennemis

Bien que la prédation des æschnes en vol soit relativement rare, certains oiseaux parviennent à les capturer, tels les faucons hobereaux ou les faucons crécerelles. Ils en attrapent une moyenne de 8 à 9 par heure. D'autres oiseaux, par ailleurs, comme le guêpier, font de l'æschne une de leurs proies favorites.

Le principal atout des æschnes pour échapper aux prédateurs n'est pas leur vitesse de vol, qui n'excède jamais 25 km/h, mais leur agilité. Elles changent rapidement et facilement de direction. En outre, elles peuvent intimider des prédateurs de taille modeste en repliant leur abdomen jusqu'au niveau de la tête.

Les æschnes, à la différence d'espèces plus petites, ne sont pas convoitées par les arthropodes – elles n'ont rien à craindre des araignées, en particulier.

Sauver ses ailes

Pour éviter les rencontres entre insectes matures et immatures, pouvant endommager les ailes et ainsi entraîner la mort, certains æschnidés, tel l'anax empereur, ont développé deux stratégies.

D'une part, les émergences sont synchronisées : le temps de présence sur les sites aquatiques est donc bien délimité pour chaque tranche d'âge. D'autre part, les premiers vols des æschnes adultes, qui peuvent s'étendre sur plus de 200 mètres, sont toujours orientés à l'opposé des points d'eau. Les adultes venant de muer s'éloignent ainsi des zones où ils risqueraient de rencontrer des individus plus jeunes qu'eux ou plus matures (adultes en période de reproduction).

Les parasites nuisent également au développement des odonates. Il arrive que les œufs soient visités par de petits hyménoptères ; les larves et les adultes, par des vers plats.

Les larves d'odonates sont des hôtes intermédiaires dans le cycle de développement de certains trématodes, qui passeront de la larve à l'adulte et finiront par parasiter des oiseaux prédateurs des libellules.

2. Zoom sur... æschne bleue

2.1. Æschne bleue (Æshna cyanea)

Comme chez tout insecte, le corps de l'æschne bleue se subdivise en trois parties : la tête, le thorax et l'abdomen.

La tête, très mobile, comporte deux yeux très développés, trois ocelles (yeux simples impliqués dans la perception des variations de luminosité) et deux petites antennes composées de sept articles, renfermant un organe particulier d'orientation composé de cellules contenant des statolithes (structures minérales jouant un rôle dans l'équilibre et l'orientation). Les pièces buccales sont de type broyeur, avec de fortes mandibules. La morphologie du thorax est très caractéristique et doit être mise en relation avec la puissance de vol. Le thorax est formé de deux parties, le prothorax et le synthorax. Le prothorax est peu important ; il supporte la première paire de pattes et la tête. Celui des femelles peut présenter des modifications dues au mode d'accouplement des libellules. Le synthorax est, lui, très volumineux : il est porteur des ailes et des deux dernières paires de pattes.

Les frêles pattes sont dirigées vers l'avant, ce qui permet à la libellule, d'une part, de pouvoir grimper aisément sur les tiges des végétaux, et, d'autre part, de maintenir, à l'aide des deux premières paires de pattes, les insectes capturés en vol.

Les deux paires d'ailes, transparentes chez le mâle et légèrement colorées de brun chez la femelle, sont de taille inégale : les ailes postérieures sont légèrement plus larges que les antérieures. Toutes sont très nervurées et glabres. Indépendantes les unes des autres, elles sont actionnées par des muscles puissants du synthorax attachés directement à la base de l'aile par un simple tendon. Au repos, ces ailes restent étalées, elles ne peuvent en aucun cas se replier vers l'arrière. À leur base se situent des organes sensitifs qui permettent notamment à la libellule de contrôler sa position pendant le vol.

L'abdomen, très allongé, légèrement aplati dorso-ventralement, est composé de 10 segments bien distincts. Le dernier segment est réduit et suivi des appendices anaux.

L'appareil respiratoire des libellules est composé classiquement de trachées : 2 paires de stigmates s'ouvrent au niveau du thorax et 8 sur l'abdomen.

Le sens prédominant chez les odonates adultes est sans conteste la vision. Leurs yeux sont très développés et permettent la détection des proies et le repérage d'autres odonates. Les æschnes peuvent également percevoir, à l'aide de chémocepteurs placés sur leurs antennes, différents types de molécules chimiques. Cette perception d'« odeurs » différentes pourrait guider certains anisoptères dans le choix de leur site de ponte. La perception des sons semble exister chez les æschnes, mais ce phénomène reste encore assez énigmatique.

La morphologie des larves ressemble, abstraction faite des ailes, à celle des adultes, mais le labium est très développé et forme ce que l'on appelle le « masque labial ».

          

ÆSCHNE BLEUE

Nom (genre, espèce) :

Æshna cyanea

Famille :

Æshnidés

Ordre :

Odonates

Classe :

Insecte

Identification :

Grande libellule ; thorax brun foncé avec des taches jaune-vert ; abdomen brun foncé tacheté de vert et de bleu pour le mâle, uniquement de vert pour la femelle

Envergure :

9 cm pour l'adulte

Longueur :

7,6 cm pour l'adulte ; 4 cm pour la larve

Répartition :

Europe (sauf régions septentrionales, Grèce et Turquie), Afrique du Nord, Proche-Orient et Asie centrale

Habitat :

Plaine et montagne jusqu'à 1 400 mètres

Régime alimentaire :

Carnivore

Structure sociale :

Solitaire

Maturité sexuelle :

Après l'éclosion : 1 à 2 ans

Saison de reproduction :

De fin juin à début octobre

Nombre d'œufs :

Inconnu

Longévité :

De 1 à 2 ans pour les larves ; environ 5 mois 1/2, adulte

Effectifs, tendances :

Très variables suivant les sites

Remarque :

Espèce commune

 

2.2. Signes particuliers

Yeux

Les yeux des libellules sont formés de la juxtaposition de plus de 28 000 unités fonctionnelles, facettes appelées ommatidies. Ils occupent la plus grande partie de la tête et entrent même en contact l'un avec l'autre. Ils sont divisés en deux parties : la partie inférieure est de couleur jaune-vert, et la partie supérieure, de coloration rouge. Cette dernière comprend des ommatidies plus larges, non pigmentées, servant pour la vision à distance. L'æschne possède également trois ocelles (yeux simples) disposés en triangle en avant des yeux, sur le sommet du crâne, qui sont sensibles à la luminosité.

Masque labial

Les larves possèdent un masque labial, organe de capture unique dans le règne animal. Son nom vient du fait qu'il cache toutes les autres pièces buccales. Il est composé de deux parties principales articulées entre elles : le menton et le sous-menton. En position de repos, le sous-menton est plaqué sur la face ventrale du thorax.

Organes génitaux

Les organes génitaux des odonates sont très caractéristiques de cet ordre. Chez le mâle, l'organe copulateur est indépendant des voies génitales. Il se situe sur le deuxième segment abdominal, alors que l'orifice génital se trouve sur le neuvième. L'organe copulateur comprend trois parties : un article basal, grand et recourbé ; un deuxième article porteur d'un orifice, et un troisième, de taille plus modeste. En avant du pénis se trouvent des crochets servant à maintenir l'ovipositeur (la tarière) de la femelle lors de l'accouplement. Les organes génitaux de la femelle sont situés ventralement, au niveau des segments 8 et 9. Ils se composent de trois paires de valves. Les deux paires de valves supérieures et médianes forment la tarière, qui permet à la femelle d'introduire ses œufs dans les tiges des végétaux.

3. Les autres espèces d'anisoptères

Les libellules appartiennent au sous-ordre des anisoptères ; à leurs côtés figure le sous-ordre des zygoptères, qui rassemble les demoiselles (souvent confondues avec les précédentes dans le langage courant). Au repos, les demoiselles referment leurs ailes antérieures et postérieures, alors que les libellules écartent du corps leurs ailes dissemblables. Les zygoptères ont un vol lent et maladroit, car les battements de leurs ailes ne se font pas dans le même sens ; les anisoptères, en revanche, volent avec beaucoup d'adresse.

La classification des odonates repose principalement sur la nervation de leurs ailes et, parfois, sur la morphologie des yeux ou la couleur des individus. La classification des larves est plus délicate, fondée essentiellement sur la morphologie des antennes, du masque labial et des lamelles caudales (uniquement pour les zygoptères). Les anisoptères fréquentent tous les types de milieux humides : tourbières, rivières, lacs ou étangs.

Les anisoptères se répartissent en huit familles.

3.1. Les gomphidés

Cette famille comprend en Europe 14 espèces réparties en 5 genres : Gomphus (7 espèces), Paragomphus (1 espèce), Ophiogomphus (1 espèce), Onychogomphus (4 espèces) et Lindenia (1 espèce).

Identification : adultes : yeux largement séparés, coloration jaune ou vert olive tachetée de noir.

Larves : larves aplaties dorso-ventralement, antennes composées de 4 articles courts et massifs.

Répartition : essentiellement près des eaux courantes (sauf deux espèces préférant les eaux stagnantes, dont le gomphe gentil, Gomphus pulchellus). Les larves sont généralement enfouies dans la vase, leur développement se déroule sur plusieurs années (de 2 à 5 ans).

Quelques espèces : le gomphe très commun, Gomphus vulgatissimus, se rencontre en petit nombre près des ruisseaux et des fleuves, voire des étangs et des lacs, dans une grande partie de l'Europe (hors Europe méridionale et septentrionale). Les mâles ont un comportement territorial, à l'instar de tous les gomphes.

Le gomphes à pinces, Onychogomphus forcipatus, est également une espèce commune qui se caractérise, comme les autres Onychogomphus, par la présence de « crochets » au bout de l'abdomen. On peut parfois observer le mâle, pourtant très craintif, posé à plat sur des pierres, mais beaucoup plus rarement la femelle.

3.2. Les æscnidés

Cette famille est représentée en Europe par une vingtaine d'espèces regroupées en 7 genres, dont le plus représenté est Æshna (environ 10 espèces).

Identification : adultes : yeux très développés se touchant sur une ligne plus ou moins longue ; abdomen long et cylindrique, bleu-vert, jaune ou brun ; l'ovipositeur des femelles est bien visible.

Larves : masque plat et palpes labiaux sans soie ; antennes comprenant 7 articles ; abdomen très allongé.

Répartition : eaux stagnantes, mais peuvent s'éloigner très facilement des milieux aquatiques grâce à leur vol puissant. La durée du développement larvaire varie, suivant les espèces, de un an chez l'æschne mixte, Æshna mixta, à 3 ou 4 ans chez l'æschne paisible, Boyeria irene.

Quelques espèces : l'anax empereur, Anax imperator, se rencontre de mai à début octobre loin des milieux aquatiques. Les femelles pondent leurs œufs dans les tiges de plantes aquatiques et parfois dans des végétaux morts. Elles se caractérisent par un vol puissant, mais, bien que communes, ne se rencontrent pas en grand nombre au bord des étangs. L'æschne printanière, Brachytron pratense, s'observe très tôt dans la saison, dès la mi-avril ; son vol est lent et elle se pose fréquemment. L'anax porte-selle, Hemianax ephippiger, est un très bon voilier, grand migrateur, provenant d'Afrique et d'Asie méridionale : elle s'installe en Europe dans des mares permanentes ou temporaires. L'æschne des joncs, Æshna juncea, se rencontre en Europe, en Asie septentrionale et centrale et en Amérique. Les larves vivent dans les eaux stagnantes. Cette æschne de grande taille n'est abondante qu'en altitude.

3.3. Les cordulégastéridés

Un seul genre compose cette famille : celui des Cordulegaster, qui comprend une dizaine d'espèces.

Identification : adultes : les yeux se touchent en un seul point, les individus sont de grande taille, l'abdomen est jaune et noir.

Larves : masque concave, palpes labiaux comportant des dents irrégulières, abdomen allongé.

Répartition : uniquement près des eaux courantes, des torrents de montagne, jusqu'à 1 400 mètres d'altitude. La larve vit enfouie dans le sol ; son développement s'étale sur 3 ans en plaine et sur plus de 5 ans en montagne.

Quelques espèces : le cordulégastre annelé, Cordulegaster boltonii, espèce la plus connue, fréquente les ruisseaux. On l'observe communément en montagne à partir de la fin mai et jusqu'au début du mois de septembre.

3.4. Les corduliidés

Cette famille comprend 17 genres répartis en deux sous-familles (les corduliinés et les macromiinés – élevés par certains auteurs au rang de famille). Le plus commun est Somatochlora (une trentaine d'espèces).

Identification : adultes : taille moyenne, couleur métallisée à une exception près (la cordulie splendide, qui est jaune et noire et de grande taille). Les yeux se touchent et présentent une indentation nette sur leur bord postérieur.

Larves : masque concave, mais les palpes labiaux ne présentent pas de dent marquée, leur abdomen est ovoïde, et leurs pattes, longues.

Répartition : les larves se développent en eaux stagnantes jusqu'à plus de 2 000 mètres d'altitude et fréquentent les tourbières. Toutefois, certains genres, comme les Macromia, se trouvent également en eaux vives. Les larves, selon les espèces, vivent soit enfouies dans la vase, comme la cordulie splendide, soit sur les végétaux, comme la cordulie bronzée.

Quelques espèces : la cordulie splendide, Macromia splendens, semblait en voie d'extinction, mais elle réapparaît au sud de la France. Les mâles de cette espèce ont un territoire linéaire le long des berges.

La cordulie bronzée, Cordulia aenea, est, en revanche, fréquemment rencontrée dans tous les types de milieux : petites mares ou grands étangs, tourbières acides ou alcalines, en plaine comme en montagne (jusqu'à 1 800 mètres d'altitude).

3.5. Les libellulidés

Cette famille, la plus grande au sein des anisoptères, comprend plus d'un millier d'espèces. En Europe, les genres les plus représentés sont Orthetrum (10 espèces), Sympetrum (12 espèces), Leucorrhinia (5 espèces), Libellula (3 espèces).

Identification : adultes : yeux contigus sans indentation, coloration variable mais non métallisée.

Larves : masque concave, palpe labial à bord interne subrectiligne.

Répartition : grande diversité des milieux colonisés, eaux stagnantes ou eaux courantes, en plaine ou en montagne. Les larves sont enfouies sous la vase, comme dans le genre Libellula, ou vivent sur les végétaux, comme Sympetrum.

Quelques espèces : une des espèces les plus communes en plaine est la libellule déprimée, Libellula depressa, qui doit son nom à la forme de son abdomen, court, large et aplati dorso-ventralement (chez le mâle mature, cet abdomen devient bleu pulvérulent). On la trouve indifféremment dans les étangs ou dans les ruisseaux à courant lent ; elle cherche toujours une zone sans végétation. On peut observer la libellule déprimée durant une courte période, en mai, en juin et en juillet, bien qu'il soit possible de trouver quelques individus jusqu'en août. L'orthétrum réticulé, Orthetrum cancellatum, est également commun ; il fréquente les étangs, les rivières et même les tourbières. Il se pose facilement au sol, et s'observe d'avril à septembre. Les femelles, pour pondre, frappent l'eau de leur abdomen. Le sympétrum rouge sang, Sympetrum sanguineum, vit principalement à proximité de milieux stagnants, tourbières ou étangs. Communément rencontré, il est actif de juin à octobre. Les femelles lancent leurs œufs sur la vase ou dans l'eau. Ces œufs sont les plus gros œufs de libellule connus. Le sympétrum à nervures rouges, Sympetrum focolombii, se rencontre fréquemment près des lacs et des étangs, voire des rizières. Son développement larvaire peut être rapide, lui permettant de faire naître deux générations par an.

4. Origine et évolution des libellules

Les libellules et les demoiselles sont, avec les éphémères, les seuls représentants actuels du plus vieux groupe d'insectes connu : les paléoptères. Les plus anciennes traces repérées semblent dater du dévonien et du carbonifère, périodes comprises entre 405 et 290 millions d'années. Les premiers représentants de l'ordre des odonates, les méganisoptères, dépassaient 70 cm ; ils disparurent au jurassique, il y a environ 70 millions d'années. La structure de leurs ailes était très proche de celle des actuels anisoptères, mais la présence d'une nervation riche et de traits archaïques comme des ailes sans cellules opaques (ou pterostigma), indique qu'il s'agit d'un rameau indépendant.

C'est au permien, il y a plus de 110 millions d'années, qu'apparaissent, dans des régions froides du Gondwana, les formes les plus proches de nos libellules actuelles, les permodonates. Ceux-ci regroupent alors trois grands groupes : les permanisoptères, les protozygoptères et les protanisoptères. Ils disparaissent au trias, il y a entre 70 et 65 millions d'années. Il y a 60 millions d'années se différencient trois grands groupes d'odonates, issus respectivement des trois grands groupes de permodonates : les anisoptères, les zygoptères et les anisozygoptères. Le groupe des anisozygoptères ne comporte plus aujourd'hui que deux espèces, véritables fossiles vivants que l'on peut observer au Japon ou dans l'Himalaya.

Les ordres des permodonates, des méganisoptères et des néodonates forment le superordre des odonatoptères. Les odonates, ordre auquel appartiennent les libellules, forment un groupe bien distinct des autres insectes par la présence de caractéristiques archaïques et de spécialisations uniques dans le règne animal, telles que le masque labial des larves ou l'appareil copulateur des mâles. Ces insectes sont intermédiaires entre les insectes à métamorphose incomplète (comme les collemboles, où l'adulte ressemble aux larves, tant morphologiquement qu'écologiquement) et les insectes à métamorphose complète (comme les papillons, où les adultes sont totalement différents des larves). Les libellules, qui regroupent les æschnes, les cordulégastres et les libellules proprement dites, sont inféodées aux milieux aquatiques.

5. Les libellules et l'homme

La libellule a connu au cours de l'histoire des fortunes diverses. Symbole de bonheur et de victoire en Orient, elle fut longtemps associée aux puissances maléfiques en Occident. Muse des créateurs de bijoux et des peintres, elle est aussi appréciée comme ingrédient de préparations culinaires et pharmacologiques.

5.1. Un insecte apprécié à plus d'un titre

Parmi les prédateurs des libellules, il faut compter l'homme. Que ce soit en Afrique, en Amérique, ou surtout en Extrême-Orient, les libellules font partie du régime alimentaire de certaines populations. Les libellules adultes sont préparées frites, les larves servent d'ingrédients dans des soupes… Les libellules font aussi partie de la pharmacopée orientale. Au Japon, on vend certaines espèces d'odonates pour guérir divers maux comme le mal de gorge ou la fièvre.

Les délicates libellules ont également inspiré de nombreux créateurs en Asie, comme Qian Xuan, peintre chinois du xviiie siècle, avec notamment le rouleau Early Autumn, où évoluent avec grâce plusieurs de ces insectes.

Les libellules ont aussi servi de modèles aux créateurs de bijoux, qui les ont représentées par exemple en barrettes ou en broches. Enfin, les libellules ont fasciné les poètes, comme le victorien Alfred Tennyson, qui décrit leurs ailes comme des « lames transparentes d'une cuirasse de saphir ». D'autres auteurs ont à leur tour célébré la libellule, tel Jules Renard dans ses Histoires naturelles. L'académicien Maurice Genevoix, dans son Bestiaire, évoque avec précision les libellules du bord de Loire : « Elles sont comme vous les voyez : gracieuses, jolies, amies de la rivière, des roseaux, de ce vieux saule... De vous aussi. »

Le mot « libellule » dérive du latin libella, désignant l'instrument qui sert à faire le niveau. « Libellule » fait ainsi référence au vol horizontal de ces insectes.

5.2. Le bonheur ou le diable ?

Les libellules provoquent des sentiments très différents selon les cultures. En Orient, elles sont depuis fort longtemps partout présentes. Au Japon, représentantes de la force et de la bravoure, elles symbolisent le bonheur et la victoire. Au point que le premier empereur du Japon avait baptisé son pays « l'Île des libellules » et que certains guerriers les adoptèrent comme blason. En Amérique du Nord, chez les Hopi de l'Arizona, elles symbolisent la vie et ornent de nombreuses poteries.

En revanche, en Europe, dès le Moyen Âge, les libellules ont été associées au diable, à l'instar des reptiles. Remarquons à ce propos le nom vernaculaire anglais des anisoptères : « mouches-dragons » (dragonflies), écho de cette symbolique maléfique. En Angleterre, on affirmait également que leur corps se transformait en aiguilles et cousait les bouches des enfants menteurs.

5.3. Recherches et protection

Les odonates constituent un des plus grands groupes de prédateurs aquatiques invertébrés et jouent un rôle important dans l'écosystème. Ils sont très sensibles à la qualité des eaux dans lesquelles ils vivent, et représentent un bon indicateur de la richesse de la faune d'eau douce. Mais ils sont de moins en moins nombreux, et certaines espèces tendent à disparaître.

Il devient nécessaire de protéger l'habitat des libellules en diminuant la pollution des rivières et en arrêtant l'assèchement des marais et des petites mares, essentiels à l'équilibre écologique de notre environnement.