sophisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec sophisma, « procédé ingénieux ».

Philosophie Générale, Philosophie Antique et Médiévale

Raisonnement habile destiné à tromper.

Il est utile de rappeler la distinction faite par la langue anglaise entre fallacy, « croyance ou argumentation fausse », et sophism, « argumentation habile mais fausse destinée à tromper » : tout en relevant du registre du faux, le sophisme n'est pas une pure et simple erreur, mais une erreur ou, plus exactement, une tromperie intentionnelle, dont le succès suppose par conséquent une habileté, sinon même la connaissance de la vérité(1).

À l'origine, le mot « sophisme » désigne tout procédé ingénieux(2) ; bientôt, cependant, l'idée de ruse évoquant la mauvaise foi, on le voit pris en mauvaise part(3). Chez Platon, « sophisme » ne désigne rien d'autre que les doctrines des sophistes, auxquels est refusé le statut de philosophe(4) ; chez Aristote, où, en politique, il conserve son sens désormais consacré de tromperie(5), le mot a déjà, en matière de raisonnement, le sens technique qui restera le sien : « Un sophisme, écrit Aristote, est un syllogisme éristique.(6) »

Jusqu'à la fin de l'Antiquité, le sophisme gardera cette signification négative, les différentes écoles s'accordant sur l'idée que l'une des utilités de la dialectique est de déjouer les sophismes. Le Moyen Âge, au contraire, à partir du xiiie s., verra se multiplier les recueils de sophismata : le sophisme sera devenu un outil logique permettant, par son exploitation des ambiguïtés du langage ordinaire, de raffiner l'analyse logique et sémantique des propositions de la métaphysique. Cette utilité du sophisme pour l'inventivité conceptuelle tombera dans l'oubli avec la scolastique, servant même de prétexte aux humanistes pour condamner les logiciens de l'École dans les mêmes termes que les philosophes de l'Antiquité, les sophistes(7).

Michel Narcy

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cf. Platon, Hippias mineur.
  • 2 ↑ Eschyle, Prométhée enchaîné, v. 459.
  • 3 ↑ Euripide, Bacchantes, v. 459.
  • 4 ↑ Platon, République, VI, 496 a.
  • 5 ↑ Aristote, Politique, IV, 13, 1297 a 14-38.
  • 6 ↑ Aristote, Topiques, VIII, 11, 162 a 16-17.
  • 7 ↑ Cf. G. Defaux, Pantagruel et les Sophistes. Contribution à l'histoire de l'humaniste chrétien au xvie siècle, La Haye, 1973.

→ éristique, sophiste, sophistique

Linguistique, Logique, Philosophie Cognitive

Raisonnement ou argument apparemment valide, mais en réalité non concluant.

En un sens, il serait possible de repenser toute la tradition philosophique, depuis Platon et surtout Aristote(1), comme un gigantesque effort pour penser et débattre sans recourir, volontairement ou non, à des sophismes. Les logiciens médiévaux ont eux aussi été très attentifs aux risques intellectuels que font courir les sophismes aux philosophes et aux théologiens. J. Buridan, par exemple, s'est livré à leur étude systématique(2).

La notion de sophisme semble bien connoter, assez généralement, une intention de tromper les autres ou soi-même, ce qui n'est pas le cas du paradoxe ou du paralogisme. Par extension, on parle aussi de sophisme à propos d'une croyance erronée mais largement partagée, comme celle selon laquelle si un dé est tombé consécutivement cinq fois sur le 6, un autre résultat devient plus probable (sophisme de Monte-Carlo).

L'enjeu principal pour les philosophes est de parvenir, dans le cadre d'une critique de l'argumentation, à conjoindre une étude logique, psychologique et rhétorique des sophismes(3).

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Réfutations sophistiques, trad. Vrin, Paris, 1977.
  • 2 ↑ Buridan, J., Sophismes, trad. Vrin, Paris, 1993.
  • 3 ↑ Woods, J., et Walton, D., Critique de l'argumentation, Logique des sophismes ordinaires, Kimé, Paris, 1992.

→ cercle, paradoxe, paralogisme