socialisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
De l'anglais socialism.
Terme utilisé en 1822 par Owen pour désigner les associations coopératives, transposé en français en 1831 par les saint-simoniens. Postulant le primat du collectif social sur l'individu, les premiers théoriciens du socialisme développent une critique morale, mais surtout économique et sociale du capitalisme industriel. Le mouvement socialiste s'organise à partir de 1864, date de la fondation de la Ière Internationale. Dès lors, le terme désignera à la fois une force politique organisée, les courants et les dissensions qui la traversent, et un projet alternatif de société. Après 1917, les diverses tentatives historiques de sa mise en pratique et la crise induite du mouvement socialiste renouvelleront et multiplieront les problèmes théoriques et politiques de sa définition.
Politique
Primat de la société sur l'individu, par opposition initiale à « individualisme ».
On peut affirmer que le socialisme plonge ses racines dans la littérature utopique et critique du xvie s. Mais il se situe, avant tout, dans la descendance de la Révolution française et se présente comme la critique de son incapacité à supprimer les inégalités sociales, c'est-à-dire comme le diagnostic de son inachèvement. De cette critique naît la volonté d'organiser le pouvoir populaire, mais aussi et surtout, après thermidor, le projet de la conquête du pouvoir. Babeuf, à la tête de la conjuration des Égaux, élabore une doctrine d'action qui confère désormais à la contestation politique sa dimension pratique.
Au xixe s., l'essor du capitalisme industriel conduit les théoriciens critiques à développer la dimension économique de leur analyse, en réclamant la réorganisation du travail et la redistribution des richesses. Par-delà tout ce qui sépare Owen en Angleterre, Saint-Simon et Fourier en France, leurs théories s'appuient sur la description des contradictions internes du capitalisme et des antagonismes de classes qu'il engendre, en même temps que sur une philosophie du progrès, qui doit rendre, à terme, inéluctable l'avènement de l'harmonie et de la justice sociales.
Proudhon donnera sa dimension politique à cette revendication, en envisageant la disparition à la fois de la propriété et de l'État. Face à l'anarchisme et au fédéralisme proudhonien se maintient la perspective d'une conquête pacifique ou violente du pouvoir politique, chez P. Leroux, Ph. Buchez, L. Blanc, A. Blanqui. Dès la naissance du socialisme, la question de la propriété et celle de l'État se trouvent donc placées au centre de la définition du terme.
En Allemagne, c'est M. Hess qui diffuse l'idée socialiste, et Marx lui empruntera le terme. Dans le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels qualifient ainsi de socialistes les diverses courants critiques de la société bourgeoise. S'inscrivant eux-mêmes dans de cette histoire, mais souhaitant souligner leur originalité, et alors même que se développent les polémiques et les débats au sein des divers courants socialistes existants, ils se définissent dès lors comme communistes.
Si l'influence exercée par la pensée de Marx sur le mouvement ouvrier est considérable, la distinction marxienne entre socialisme et communisme est aussitôt oubliée. Engels, le premier, opposera « Socialisme utopique et socialisme scientifique », ce dernier étant présenté comme socialisation des moyens de production et d'échange, conduisant à l'extinction de l'État. Ce chapitre de l'Anti-Dühring, traduit et modifié par P. Lafargue en accord avec Engels, sera le principal vecteur de la diffusion du marxisme en France et servira à accréditer la thèse d'un déterminisme économique conduisant nécessairement au dépassement du capitalisme.
Guesde sera le propagateur de cette orthodoxie et de la tactique « classe contre classe », à la fois contre Jaurès et son gradualisme démocratique, mais aussi contre le syndicalisme révolutionnaire, aux aspirations libertaires, et contre les « possibilistes » réformistes de Brousse et Allemane. Au lendemain de la scission de Tours, en 1920, Blum reprendra l'héritage réformiste de Jaurès et défendra l'idée d'une gestion socialiste et humaniste du pouvoir, contre les partisans de l'adhésion à la iiie Internationale.
Dès lors, le terme de « socialisme » se déchirera en deux acceptions incompatibles : désignant l'ensemble des partis socialistes d'Europe occidentale, réformistes et ayant progressivement abandonné toute référence au marxisme, il sera également repris par les partis communistes pour désigner la phase de transition vers un mode de production communiste. Dans le même temps, l'objectif stalinien du rattrapage du capitalisme tendra à définir le « socialisme réel » comme une formation économique et sociale autonome.
Terme polysémique, le socialisme pose indissociablement des problèmes théoriques et pratiques, qui sont ceux d'une alternative au libéralisme, voire au capitalisme. Conquête ou destruction de l'État, formes de propriété, internationalisme, socialisation des moyens de production et d'échange, révolution ou réformisme, tous ces thèmes sont au centre des débats politiques du xixe et du xxe s. Ils présentent une dimension sociale, politique, mais aussi économique, qui pose le problème d'une autre rationalité, se donnant pour but le développement des hommes et la satisfaction de leurs besoins. Pris en tenaille entre l'histoire d'une social-démocratie peu à peu ralliée aux thèses libérales d'un côté, le désastre et les crimes du « socialisme réel » de l'autre, le terme, héritier de l'histoire des deux derniers siècles, est plus que jamais chargé d'enjeux théoriques et politiques.
Isabelle Garo
Notes bibliographiques
- Engels, Fr., Socialisme utopique et socialisme scientifique, Éditions sociales, Paris, 1973.
- Castagnez-Ruggiu, Histoire des idées socialistes, La Découverte, Paris, 1997.
- Droz, Histoire générale du socialisme, 4 vol., PUF, Paris, 1974.
- Winock, le Socialisme en France et en Europe, Seuil, Paris, 1992.