possible
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin possibilis, de posse : « pouvoir ». En allemand : möglich.
Philosophie Générale
Caractère de ce qui n'est pas mais qui pourrait être, donc qui n'implique pas de contradiction logique. Le possible est une des quatre catégories de la modalité (avec l'impossibilité, le nécessaire et le contingent). En tant que le possible n'est pas, il se distingue de l'existence. En tant qu'il peut être, il se distingue de la nécessité.
Les Mégariques, en limitant à l'existence effective de l'être présent ce qui est dit être, refusent toute existence aussi bien à ce qui a été qu'à ce qui sera. Le possible est tenu pour un irréel, un non-être. Aristote leur reproche donc d'anéantir tout mouvement et devenir(1). Il leur oppose la distinction entre acte et puissance qui permet au possible d'avoir une réalité. Le possible est réel en ce qu'il est contingent pour lui de n'être pas actuellement réalisé, de n'être pas en acte. Il convient toutefois de distinguer le possible qui peut se réaliser du possible qui n'est qu'en pensée : ainsi comme l'écrit J.-P. Dumont : « si je dis que la continuité de la grandeur linéaire peut se diviser à l'infini, c'est là une possibilité qui n'existe que pour ma pensée, car la réalité en acte est bel et bien finie »(2).
Jean Duns Scot(3), au commencement d'une réflexion onto-théologique, renvoie le possible à l'entendement ; c'est l'intellect divin et non la toute-puissance divine qui est la source de tous les possibles. La question est pour lui de savoir quelle est la manière d'être du possible. Il se situe entre l'être de raison et l'être existant. L'être intelligible a une réalité différente de l'être existant. Ainsi la thèse de Scot est la suivante : les possibles sont tels qu'ils demeureraient si Dieu n'existait pas (ainsi du triangle) ; de même quelque chose est impossible s'il y a répugnance et même si Dieu n'existait pas. La toute-puissance divine subit les possibles, ils sont des objets de l'entendement divin donc distincts de Dieu. L'existence serait un modus de l'essence.
Descartes refuse l'indépendance des possibles. Cette question touche de près le problème de la création des vérités éternelles. Il écrit ainsi : « Pour les vérités éternelles, je dis derechef qu'elles sont vraies ou possibles seulement parce que Dieu les connaît comme vraies ou possibles ; mais, par contre, je ne dis pas qu'elles sont connues par Dieu comme vraies à la façon de vérités existant indépendamment de lui », de telle sorte qu'il est impossible selon lui de dire que « si Dieu n'existait pas, ces vérités n'en seraient pas moins vraies. »(4). Descartes distingue le possible pour Dieu et le possible pour nous. Cherchant de son côté à résoudre cette distinction, Leibniz affirme la réalité du possible(5). Ce qui constitue le possible c'est la capacité à être pensé, cela vaut pour Dieu et pour nous. L'entendement divin est donc le lieu des possibles, des mondes possibles ; parmi ces mondes Dieu a mené à l'existence le meilleur. Tout possible tend à l'existence, mais relativement au principe du meilleur, certains possibles ne sont pas destinés à exister.
Chez Kant, la possibilité est l'une des trois catégories de la modalité ; elle constitue un concept a priori. Ainsi Kant affirme que « le schème de la possibilité est l'accord de la synthèse de représentations diverses avec les conditions du temps en général (par exemple les contraires ne peuvent exister dans une chose en même temps, mais seulement l'un après l'autre) ; c'est la détermination de la représentation d'une chose par rapport à un temps quelconque. »(6). Est possible une chose dont le concept s'accorde avec les conditions formelles d'une expérience en général. Tout ce qui est réel est possible ; d'où il suit que quelques possibles sont effectivement réels, ce qui implique que le champ des possibles soit supérieur à celui de la réalité effective. Cependant nous ne devons pas conclure de la possibilité des concepts (possibilité logique) à la possibilité des choses (possibilité réelle)(7) : la chose dont le concept est possible n'est pas pour autant une chose possible. La distinction entre ce qui est simplement possible et ce qui est effectivement réel repose sur le fait que le possible signifie la position de la représentation d'une chose relativement à notre concept et au pouvoir de penser en général, alors que l'effectif signifie la mise en place de la chose en soi-même.
Admettons qu'il y ait en Dieu la notion de meilleur des mondes possibles, le problème de l'existence du monde reste intact. Car le fondement réel de l'existence du monde ne peut pas être un concept : « Mais la volonté de Dieu contient le principe réel de l'existence du monde. La volonté divine est quelque chose. Le monde existant est une tout autre chose. Cependant l'un est posé par l'autre. »(8). Le problème pour Kant sera donc de concevoir ce rapport. Par exemple, Jules César est sujet possible posé dans l'entendement divin : il s'y trouve assurément avec toutes les déterminations qui lui appartiennent en droit et qui lui appartiendraient en fait s'il existait. Une seule modification et ce n'est plus le même. Prise en tant que pur possible, la notion de Jules César inclut absolument tous les prédicats requis pour sa complète détermination. Pourtant, en tant que pur possible, Jules César n'existe pas. La notion peut être complètement déterminée sans inclure l'existence, d'où il suit que, si l'existence réelle se trouve conférée à ce possible, elle ne pourra que s'y ajouter à titre de prédicat. Puisque la notion de tout possible inclut par définition la totalité de ses prédicats, il est impossible que l'existence en soit un. C'est donc une erreur de langage quand on dit de l'existence qu'elle est un prédicat. Nous nous exprimons le plus souvent comme si l'existence appartenait à nos notions. Il convient de distinguer entre le jugement d'existence qui est la position absolue (Dieu existe, je pose Dieu avec la totalité de ses attributs) et le jugement de relation qui construit les notions des simples possibles. L'essence est le possible pris avec tous les prédicats qui le déterminent ; ce que l'existence ajoute au possible, c'est le sujet lui-même pris dans sa réalité absolue(9). Du point de vue moral, est pratiquement possible ce qui est possible par une volonté. Il se distingue du physiquement possible qui est l'effet d'un mécanisme ou d'un instinct(10).
Bergson, dans La pensée et le mouvant(11), revenant sur la doctrine leibnizienne, explique : « Au fond des doctrines qui méconnaissent la nouveauté radicale de chaque moment de l'évolution, il y a bien des malentendus, bien des erreurs. Mais il y a surtout l'idée que le possible est moins que le réel, et que, pour cette raison, la possibilité des choses précède leur existence. Elles seraient ainsi représentables par avance ; elles pourraient être pensées avant d'être réalisées. Mais c'est l'inverse qui est la vérité. » Le possible est le réel avec un acte de l'esprit qui en rejette l'image dans le passé une fois qu'il s'est produit. Le possible est le mirage du présent dans le passé : par exemple, l'artiste crée du possible et du réel quand il exécute son œuvre : l'œuvre réelle devient rétrospectivement possible. C'est donc le réel qui se fait possible et non le possible qui se fait réel.
Elsa Rimboux
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, Métaphysique, Θ, 3. 1046b29, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1953, p. 488. Voir aussi, De l'interprétation, 13, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1989.
- 2 ↑ Dumont, J.-P., Éléments d'histoire de la philosophie antique, Nathan, Paris, 1993, p. 372.
- 3 ↑ Duns Scot, J., Ordinatio, in Opera omnia, cura et studio commissionis scotisticae, éd. C. Balic, Vatican, 1950.
- 4 ↑ Descartes, R., Lettre à Mersenne du 6 mai 1630, in Œuvres philosophiques I, éd. F. Alquié, Bordas, Paris, 1988, pp. 264-265.
- 5 ↑ Leibniz, G.W., Monadologie, § § 43-44, trad. A. Robinet, PUF, Paris, 1954, p. 95. Voir aussi Théodicée.
- 6 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, Analytique transcendantale, livre II, chap. 1, in Œuvres philosophiques I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, p. 889.
- 7 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, Dialectique transcendantale, livre II, chap. 3, 4e section, in Œuvres philosophiques I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, p. 1213.
- 8 ↑ Kant, E., Essai pour introduire en philosophie le concept de quantités négatives, Remarque générale, trad. J. Ferrari, in Œuvres philosophiques I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, pp. 300-301.
- 9 ↑ Kant, E., L'unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu, 1e partie, 1e considération, III, trad. S. Zac, in Œuvres philosophiques I, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, p. 330.
- 10 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger, Introduction, I, trad. J.-R. Ladmiral, M. B. de Launay et J.M. Vaysse, in Œuvres philosophiques II, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, p. 924.
- 11 ↑ Bergson, H., La pensée et le mouvant, III : « le possible et le réel », PUF, Paris, 1990, pp. 109 sq.
- Voir aussi : Belaval, Y., Leibniz critique de Descartes, Gallimard, Paris, 1960.
- Gilson, E., L'être et l'essence, Vrin, Paris, 1987.
- Kant, E., Sur la question mise au concours par l'Académie Royale des Sciences pour l'année 1791 : Quels sont les progrès réels de la métaphysique en Allemagne depuis le temps de Leibniz et de Wolff ?, supplément, deuxième section trad. J. Rivelaygue, in Œuvres philosophiques III, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1980, p. 1273.
→ contingent, logique, monde, nécessaire