nomos
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Mot grec, de nemein (qui signifie initialement « attribuer en partage ») ; « habitude », « loi », « convention ».
Philosophie Antique
La loi : qu'elle soit divine, issue de l'habitude, ou résultat d'un accord entre les individus.
Initialement, le nomos est un type de comportement, attribué par Zeus à certains animaux(1), selon lequel ils se dévorent mutuellement, contrairement à l'homme. Conformément à ce sens initial, le nomos peut signifier la loi divine ou l'ordre instauré par Dieu(2), mais il désigne également la façon habituelle de se conduire(3) ou d'exécuter une tâche. En ce sens, le terme peut être considéré comme un synonyme d'usage, de coutume et, au pluriel, de mœurs. Mais le nomos désigne aussi la loi positive, particulièrement dans un contexte démocratique(4) De manière beaucoup plus large, enfin, ce qui est produit « selon le nomos » désigne ce qui a été forgé par l'homme, ce qui est artificiel, par opposition au naturel ; en cela, le nomos peut être rapproché de l'« art » (techne)(5).
Héraclite évoque le nomos divin sur lequel se fondent les nomoi des hommes(6). Pourtant, dès le ve s. av. J.-C., la constatation de la diversité des lois et coutumes(7), en fonction des différents peuples, conduit à mettre en doute l'universalité des valeurs morales et politiques, et incite à valoriser le nomos, qui, faute de réfèrent transcendant, occupe une place centrale dans la cité. Ainsi, la répartition égale, l'égalité devant la loi, l'isonomia, constitue un des aspects majeurs de la démocratie(8). Cet éloge du nomos trouve un écho particulièrement important au sein du mouvement sophistique. On peut citer, en ce sens, un écrit anonyme qui fait l'apologie de l'eunomia, de la bonne observation des lois, qui garantit l'ordre dans la cité(9). Le sophiste Protagoras fait même de la loi positive une forme de mesure du bien et du mal, du juste et de l'injuste(10), perspective présente déjà chez Archélaos, qui considère que le juste et le honteux ne sont pas « par nature » (phusei), mais « par convention » (nomoi)(11). Cette prise de position en faveur du nomos constitue, en fait, l'amorce d'un débat, à l'œuvre tout au long des ve et ive s. av. J.-C., marquant l'opposition entre les défenseurs du nomos et les partisans de la « nature » (physis). L'usage que Démocrite fait du terme nomos fournit l'illustration d'une conception négative du nomos, synonyme d'apparence et d'inauthenticité : « Convention que le doux, convention que l'amer ; convention que le chaud, convention que le froid ; convention que la couleur : en réalité, les atomes et le vide. »(12). Au nomos, on reproche d'exercer une violence contre la nature : ainsi, chez les macrocéphales, dont le crâne, de forme particulièrement allongée, devrait initialement cette forme à une manipulation rituelle, un nomos, ce caractère serait avec le temps devenu héréditaire, le nomos modifiant définitivement la nature(13). Dans une perspective plus générale, le sophiste Antiphon d'Athènes fonde sa pensée politique sur le rejet du nomos sous quelque forme que ce soit. Le nomos, qui entend réglementer la vie humaine, dans sa méconnaissance des mécanismes fondamentaux de la nature, pervertit les rapports humains et asservit l'individu(14). Calliclès, personnage forgé par Platon, dénonce, lui aussi, la loi positive, qu'il accuse d'être un moyen au service des faibles pour neutraliser les forts, lui-même privilégiant la loi de la nature(15). Dans les Lois, Platon amalgame partisans du nomos et défenseurs de la physis : affirmer la relativité du juste et de la croyance aux dieux conduit à prôner, au nom de la nature, la domination des plus forts ; Protagoras implique Calliclès. À quoi Platon oppose que non seulement la loi, mais la nature elle-même, est le fruit de la providence de dieux justes et incorruptibles, soit du nomos divin(16).
Chez les stoïciens, le nomos, dépassant les limites de la cité, revêt une dimension cosmique ; c'est pourquoi l'opposer à la nature n'a plus aucun sens. Le « nomos commun » (nomos koinos) est synonyme de la « droite raison » (orthos logos) qui parcourt toute chose et est identique à Zeus. Ainsi, pour chaque homme, suivre la droite raison et donc, le nomos, consistera à vivre en conformité avec la nature(17).
Annie Hourcade
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Hésiode, les Travaux et les Jours, 276.
- 2 ↑ Par exemple, Pindare, fragment 169 ; voir aussi la tradition biblique dans laquelle le nomos divin est loi divine, mais possède également le sens d'enseignement : Psaumes, 1, 2 ; Épître aux Galates, 6, 2.
- 3 ↑ Eschyle, Agamemnon, 594, désignant la coutume des femmes.
- 4 ↑ Xénophon, Mémorables, I, 2, 42.
- 5 ↑ Antiphon, B 15 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1988.
- 6 ↑ Heraclite, B 114, ibid.
- 7 ↑ Hérodote, III, 38.
- 8 ↑ Ibid., III, 80.
- 9 ↑ Anonyme de Jamblique, 89-7 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
- 10 ↑ Platon, Théétète, 167 c.
- 11 ↑ Diogène Laërce, II, 16.
- 12 ↑ Démocrite, B 9 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
- 13 ↑ Hippocrate, Des airs, des eaux, des lieux, 14.
- 14 ↑ Antiphon, B 44 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
- 15 ↑ Platon, Gorgias, 482 e sq.
- 16 ↑ Platon, Lois, X, 889 c sq.
- 17 ↑ Diogène Laërce, Vies, VII, 88.
- Voir aussi : Decleva Caizzi, F., « “Hysteron proteron”. La nature et la loi selon Antiphon et Platon », in Revue de métaphysique et de morale, 91, pp. 291-310, 1986.
- Gigante, M., Nomos basileus, 2e éd., Naples, Bibliopolis, 1993.
- Heinimann, F., Nomos und Physis. Herkunft und Bedeutung einer Antithese in griechischen Denken des 5. Jahrhunderts, Basel, F. Reinhardt, 1945.
- Hourcade, A., Antiphon, une pensée de l'individu, Ousia, Bruxelles, 2001.
- Ostwald, M., Nomos and the Beginnings of the Athenian Democracy, Clarendon Press, Oxford, 1969.
- Pohlenz, M., « Nomos und Physis », Hermes, 81, pp. 419-438, 1953.