mythe

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec muthos, « parole », « discours », « récit » ; en tant que narratif et non vérifiable, il est volontiers opposé par Platon au logos, « argumentation vraie ou vérifiable ».

Philosophie Antique, Anthropologie

Récit imaginaire, transmis par la tradition, mettant en scène des personnages (dieux, demi-dieux, héros) ayant pour fonction d'incarner, de manière symbolique, des forces naturelles, mais également des qualités physiques ou morales, des facultés intellectuelles ou des notions abstraites. Le mythe est aussi, dans son usage philosophique, l'expression allégorique d'une idée ou d'une doctrine dont il autorise, parfois mieux que le discours rationnel, la compréhension, en raison essentiellement de son pouvoir évocateur.

Chez Homère, le terme muthos signifie le discours en général. « Parole exprimée », muthos s'oppose à ergon, l'« acte accompli »(1), et non à logos, dont il est synonyme. Dans le Phédon, pourtant, Platon marque la différence entre muthos, « récit inventé par le poète », et logos, « discours »(2). De manière plus décisive encore, il oppose, dans le Timée, le récit forgé au discours véridique(3). Histoire imaginaire racontée aux enfants(4), le mythe présente sans doute un intérêt pédagogique, dans la mesure où il constitue un moyen d'inculquer des principes moraux. Pourtant, même s'il comporte une part de vérité, il reste avant tout un « discours faux » (pseudos)(5). Dans une perspective similaire, Aristote rejette un type d'explication théologique des phénomènes de la nature et oppose les mensonges des mythes aux démonstrations rationnelles(6). Ces critiques ne doivent pas occulter, cependant, le rôle que Platon et Aristote assignent au mythe dans le cadre de la démarche gnoséologique. Procédé spécifique d'exposition chez Platon, le mythe prend le relais de la dialectique et la parachève. C'est le cas, notamment, des mythes eschatologiques comme le mythe d'Er, qui clôt la République(7), et du récit qui marque la fin du Gorgias(8). Au livre I de la Métaphysique, Aristote met en évidence ces caractères communs au mythe et à la philosophie que constituent l'étonnement et la reconnaissance de sa propre ignorance, soulignant ainsi le lien de parenté qui unit philomuthos et philosophos(9).

Cette affirmation rejoint celle selon laquelle la poésie tragique est « plus philosophique que l'histoire »(10) : défini comme l'« enchaînement des actes accomplis »(11), le mythe constitue l'intrigue de la tragédie, ce qui permet de voir en elle une « imitation de gens qui agissent »(12), autrement dit ce qui en fait la vraisemblance et fait que d'elle on peut apprendre « à quel genre d'homme il arrive de dire ou de faire quel genre de choses »(13).

Annie Hourcade

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Homère, Iliade, IX, 443.
  • 2 ↑ Platon, Phédon, 61 b ; cf. Protagoras, 320c3 ↑.
  • 3 ↑ Platon, Timée, 26 e.
  • 4 ↑ Platon, Sophiste, 242 c.
  • 5 ↑ Platon, République, II, 377 a.
  • 6 ↑ Aristote, Métaphysique, III, 4, 1000 a 18-21.
  • 7 ↑ Platon, République, X, 614 a et suiv.
  • 8 ↑ Platon, Gorgias, 523 a.
  • 9 ↑ Aristote, Métaphysique, I, 2, 982 b 17.
  • 10 ↑ Aristote, la Poétique, 9, 1451 b 5-6.
  • 11 ↑ Ibid., 6, 1450 a 5.
  • 12 ↑ Ibid., 3, 1448 a 19-29.
  • 13 ↑ Ibid., 9, 1451 b 8-9.
  • Voir aussi : Bollack, J., la Grèce de personne. Les mots sous le mythe, Seuil, Paris, 1997.
  • Brisson, L., Platon, les mots et les mythes, Maspero, Paris, 1982.
  • Vernant, J.-P., Mythe et Pensée chez les Grecs, Maspero, Paris, 1965.

→ fiction, logos

Anthropologie

Récit symbolique de nature sacrée, relevant d'un autre temps que celui de l'histoire.

Par opposition à la fable, au conte ou à l'allégorie, qui supposent une création imaginaire, le mythe relève de la vérité, narrant des événements qui ont réellement eu lieu. Il met en scène des personnages de nature divine dans un récit qui évoque le temps de la fondation ou de l'origine : « le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des “commencements” »(1). Le temps du mythe, antérieur à celui des hommes, est réactualisé de façon cyclique par les rites, qui font réapparaître les actes mythiques, effectués par des héros ou des divinités, dans la vie de la communauté. Dès lors, le mythe ne peut être un objet de connaissance, mais doit être vécu, sans cesse réitéré par des pratiques sacrées. Il livre un savoir des origines, qui permet de comprendre l'état des choses et de les maîtriser, d'entrer en communication symbolique avec le monde. S'il se rapporte à des événements « passés », le mythe est cependant intemporel, dans la mesure où il concerne aussi bien le présent que l'avenir, ce qui le place à la fois dans la parole et dans le langage : reprenant la distinction saussurienne entre la langue (appartenant au temps réversible) et la parole (temps irréversible), Claude Lévi-Strauss identifie une troisième structure propre au mythe, qui se caractérise par des unités constitutives qui, par ordre de complexité, se situent au-dessus des phonèmes, morphèmes et sémantèmes : les mythèmes. « Le langage, tel qu'il est utilisé dans le mythe, manifeste des propriétés spécifiques. Ces propriétés (...) sont de nature plus complexe que celles qu'on rencontre dans une expression linguistique de type quelconque »(2). La pensée mythique primitive ne peut alors être considérée comme une enfance de la pensée, qui serait dépassée par la science rationnelle, qualitativement supérieure. En étudiant la structure des mythèmes, l'idée selon laquelle le mythe n'obéirait pas à une logique ou à une continuité s'effondre : ils témoignent au contraire d'une grande complexité et répondent à de nombreuses exigences de construction. Lévi-Strauss dégage ainsi des structures permanentes propres à tous les mythes, et qui permettent de comprendre leurs ressemblances, en organisant les mythèmes selon un double ordre de lecture : pour être raconté, le mythe s'organise de façon linéaire, mais pour être compris, les mythèmes doivent être groupés en colonnes, qui font apparaître des ensembles cohérents valables pour tous les mythes. Le mythe apparaît alors comme un système symbolique, mettant en rapport le langage et la structure sociale. L'interprétation structuraliste fait apparaître le mythe comme modèle de l'organisation des hommes entre eux, et Georges Dumézil y met en évidence ce qu'il nomme les « trois fonctions » (spirituelle, force physique et fécondité) existant dans tous les groupements humains : les fonctions souveraines et religieuses, les fonctions guerrières, et les fonctions économiques. Ces fonctions correspondent aux classes d'individus que sont les prêtres, les soldats et les agriculteurs-éleveurs. Dans ses études de mythologie comparée(3), s'intéressant aux mythes indiens, nordiques ou grecs, il montre que tous se structurent selon ces trois fonctions, qui définissent le rapport au sacré, la défense de la communauté et la gestion de la nourriture. S'écartant des analyses structuralistes, Bruno Pinchard inscrit le mythe dans la temporalité vécue, ouvrant une méditation qui s'élève « plus haut que l'espace et le symbole dans sa recherche d'un principe »(4), découvrant que le symbole, qui semble structurer le mythe, n'intervient en fait qu'après coup. Le mythe est espace des désirs, forme du temps et des événements qui s'y produisent.

Didier Ottaviani

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Éliade, M., Aspects du mythe (1962), Gallimard, Folio, Paris, 1988, p. 16.
  • 2 ↑ Lévi-Strauss, C., Anthropologie structurale (1958), Plon, Agora, Paris, 1985, p. 241. Voir aussi Mythologiques, (4 t.), Plon, Paris, 1964, 1967, 1968, 1971.
  • 3 ↑ Dumézil, G., Mythe et Épopée I. II. III. (1968, 1971, 1973), Gallimard, Quarto, Paris, 1995.
  • 4 ↑ Pinchard, B., Méditations mythologiques, Les Empêcheurs de penser en rond, Paris, 2002, p. 197.
  • Voir aussi : Vernant, J.-P., Mythe et pensée chez les Grecs (1965), La Découverte, Paris, 1985.

→ histoire, langage, langue, origine, parole