limite
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
En grec peras, de peran, « traverser ».
Philosophie Générale
Ce qui sépare deux parties contiguës, dans l'espace (points, lignes, surfaces) ou dans le temps (instants).
Dans sa Physique, Aristote définit la limite comme un indivisible qui occupe un lieu et qui ne s'identifie pas au commencement(1). En calcul infinitésimal, la limite désigne la valeur vers laquelle converge une série continue, telle qu'il est toujours possible de trouver une différence, aussi petite qu'on voudra, entre elle et les différentes valeurs de la suite. Le « passage à la limite » est l'opération par laquelle on passe d'une série continue de termes convergeant vers une limite à cette limite même. Tout en séparant, la limite unit, esquissant le mouvement vers son propre au-delà, comme le suggère le « paradoxe du bord » d'Archytas(2). Kant s'inspire de cette idée pour affirmer que la critique, quoique limitant la connaissance à l'expérience possible, ne la conduit pas moins à la pensée des noumènes(3). Freud a défini la pulsion comme un « concept limite » (Grenzbegriff), à la frontière du biologique et du psychique.
Philosophie Antique
Employée avec son antonyme apeiron, la notion de limite (peras) forme un doublet, fini-infini (ou limite-illimité), essentiel dans de nombreuses ontologies. L'origine du concept remonte aux pythagoriciens, qui l'incluent en première place dans leur table des opposés, et l'identifient à l'impair (l'apeiron étant, quant à lui, identifié au pair)(4). Dès ce moment, le doublet peras-apeiron est volontiers conçu comme la forme de disjonction ultime que la pensée puisse affronter, l'expression achevée du principe de contrariété. Parménide exclura, en conséquence, son Être de toute participation à l'apeiron imparfait, et le montrera enserré dans les liens de la Limite(5). Platon reprend l'opposition pythagoricienne dans son ontologie tardive, spécialement dans le Philèbe : l'être en devenir est un mixte de peras et d'apeiron(6).
Christophe Rogue
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, Physique, 185b18, 209a9, 264b27.
- 2 ↑ Simplicius, Commentaire sur la physique d'Aristote, 467, 26, Diels.
- 3 ↑ Kant, E., Prolégomènes à toute métaphysique future, § 57.
- 4 ↑ Aristote, Métaphysique, I, 5, 986a22 sqq. (= L'École pythagoricienne, B 5, in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, Paris, La Pléiade, 1988) ; Physique, 203a10 (L'École pythagoricienne, B 28, in J.-P. Dumont, op. cit.).
- 5 ↑ Parménide, B 8 (J.-P. Dumont, op. cit.), v. 42-49.
- 6 ↑ Platon, Philèbe, 26d.
Mathématiques
Soit f une fonction réelle, f admet l pour limite, lorsque x tend vers x0 si et seulement si :
∀ε > 0, ∃η > 0 ∀x ∈ ]x0 – η, x0 + η[ – {x0}, | f(x) – l | < ε
Plus généralement, on dit qu'une application f d'un ensemble E dans un espace topologique E′ tend vers l suivant le filtre de base B sur E si : pour tout voisinage V de l, il existe un élément de la base du filtre dont l'image est incluse dans V.
La notion de limite apparaît en mathématiques bien avant ces mises au points analytiques et topologiques. Dans les Éléments d'Euclide, la limite est thématisée dès le livre premier : « Les limites d'une ligne sont des points » (déf. 3), ou : « Les limites d'une surface sont des lignes » (déf. 6). Avec la définition complémentaire de frontière : « Une frontière est ce qui est limite de quelque chose » (déf. 13), l'auteur euclidien peut entamer l'étude des figures géométriques.
La notion de limite est aussi fondamentale pour toute appréhension de l'idée de continuité, ce qui se trouve déjà chez Aristote, pour qui la définition du point et de l'instant comme limites permet de penser la continuité de l'espace et du temps.
Les mathématiciens, notamment à partir de Leibniz et de Newton, installent cette notion de limite au cœur du calcul, ouvrant la voie aux méthodes de dérivation et d'intégration. L'étude des convergences de séries est une des voies d'accès à ce succès, l'autre étant l'élucidation de l'idée de variable, soumise à des accroissements « aussi petits que l'on veut ».
Il faudra les travaux de d'Alembert, puis de Cauchy (1789-1857) et de Weierstrass (1815-1897) pour doter le concept de limite d'une définition rigoureuse, grâce, notamment, à la distinction entre la limite et la limite uniforme.
Vincent Jullien