horizon
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec orizein, « délimiter », « séparer » ; en allemand, Horizont.
Le concept d'horizon connaît un destin historique intéressant, qui témoigne des mutations de l'épistémé. Les très anciennes réflexions cosmologiques et métaphysiques sur l'horizon ont, de Nietzsche à H. G. Gadamer en passant par Husserl, Heidegger et E. Bloch, repris un intérêt ontologique et anthropologique dans la philosophie de l'existence, dans l'herméneutique et dans la philosophie de l'histoire.
Philosophie Contemporaine, Métaphysique, Philosophie Cognitive
Limite imposée à l'expérience ou à la connaissance.
Chez Aristote, la notion d'horizon est à peu près synonyme de métharios, ce qui forme la frontière. Dès le néoplatonisme, l'horizon, comme ce qui délimite et sépare, prend un sens anthropopologique et désigne chez les Pères de l'Église la place de l'homme dans le cosmos(1). L'homme est « limitrophe » (metorios), il a part au monde spirituel tout autant qu'au monde physique(2). Dans son De monarchia, Dante en déduira la justification des deux pouvoirs, celui du pape et celui de l'empereur(3). Il semble qu'à l'époque moderne cette dimension métaphysique et religieuse ait régressé au profit d'un usage strictement astronomique et géographique(4). Corrélativement, le concept d'horizon s'établit dans la théorie de la connaissance, chez Leibniz, chez les leibniziens Baumgarten et G. F. Meier, et chez Kant. Pour Leibniz, il s'agit du nombre de « toutes les vérités ou faussetés possibles »(5) – une conception qui prend même déjà un sens historique puisque « toute conscience n'a que l'horizon de sa capacité d'appréhension présente dans le cadre des sciences existantes et jamais celui de sciences futures »(6). Baumgarten définit quant à lui l'horizon de connaissance en fonction de la nature des facultés et distingue un horizon aestheticus et un horizon logicus(7). Il préfigure par là l'approche kantienne, qui vise à déterminer si l'entendement estime justement ce qui relève ou non de son horizon(8).
Nietzsche renoue avec le sens de l'astronomie antique, c'est-à-dire avec la définition de l'horizon comme espace visuel limitant la vision orizon kuklos(9). Selon lui l'homme qui agit déploie autour de soi un horizon de connaissances, qui sont le résultat d'une sélection au sein du passé et du présent. Cet horizon sélectif conditionne son action, c'est-à-dire l'affirmation de la vie. L'horizon est l'espace où se rencontrent le passé, le présent et l'avenir. Mais étant lié à l'affirmation d'une subjectivité agissante, nécessairement injuste à l'égard de « l'objectivité », il est aussi une illusion nécessaire qui, comme la représentation apollinienne, arrête le flux du devenir et rend ainsi possible la connaissance et l'action. S'il n'était pas sélectif, l'homme serait prisonnier du savoir mort, de l'histoire. « Toute vie ne peut devenir saine, forte et féconde qu'au sein d'un horizon »(10).
Le terme est utilisé en phénoménologie dans la théorie de la perception et désigne la structure spatiale différenciée qui environne l'objet perçu et donné selon tel ou tel de ses profils. L'horizon de l'objet, à ce titre, est co-donné sans être expressément remarqué au moment de l'acte perceptif(11). Dans Philosophie première II, Husserl distinguera entre l'horizon interne et l'horizon externe, l'un désignant la structure de condonation proprement dite, l'autre l'environnement plus large de l'objet. Enfin, la dimension primairement spatiale de l'horizon se double d'une appréhension temporelle dont les traits descriptifs sont transposés de l'espace, ce qui ne va pas sans poser un problème dans l'appréhension spécifique des « extases » temporelles que Heidegger détermine quant à lui dans leur autonomie par rapport à l'espace(12). Alors que chez Husserl l'horizon est le fond de surgissement d'une chose, pour Heidegger il s'agit de la modalité de présence de l'étant, qui en tant que telle n'est rien d'étant, à savoir le temps comme horizon transcendantal de l'être.
Citant Goethe, à l'instar de Nietzsche, E. Bloch reprend le terme d'horizon dans sa philosophie de l'utopie concrète : « Tout ce qui est vivant, disait Goethe, baigne dans une atmosphère ; tout ce qui est réel [...] a un horizon ». Le monde est le lieu de rencontre entre l'imagination utopique et la possibilité réelle. Cette corrélation s'exprime par quatre catégories : Front, Novum, Ultimum et Horizont. L'horizon a une dimension verticale, celle de l'intériorité, de « l'obscurité » du sujet qui ne s'est pas encore accompli, et une extension horizontale, celle de la matière et du monde également inachevés. À ce titre, l'horizon est constitutif du réalisme authentique, celui de l'utopie concrète qui appréhende la réalité comme un « tissu de processus dialectiques ». Là où l'horizon est ignoré, la réalité n'est plus que du devenu, une réalité morte ; « les empiristes et les naturalistes enterrent leurs morts »(13).
L'herméneutique de H. G. Gadamer a contribué à la popularisation de la notion d'horizon en définissant l'acte d'interprétation comme « une fusion d'horizons qui, en projetant un horizon historique, accomplit en même temps son dépassement »(14).
Gérard Raulet
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aquin, Th. (d'), (saint), Summa contra gentiles (1258-1260), t. III, p. 61 (Somme contre les Gentils, III, tr. V. Aubin, GF, Paris, 1999).
- 2 ↑ Ibid., IV, p. 55.
- 3 ↑ Dante, A., De monarchia (1311), éd. C. Witte, Wien, 1874, pp. 136 sq (La Monarchie, tr. M. Gally, Paris, Belin, 1993).
- 4 ↑ Wolff, C., Mathematisches Lexikon (1716), J. H. Zedler, Universal-Lexicon (1732 sq).
- 5 ↑ Bodemann, E., Die Leibniz-Handschriften der Königl. öff. Bibliotek zu Hanover, 1895, p. 83.
- 6 ↑ Ettlinger, M., Leibnizals Geschichtsphilosoph, 1921, p. 27.
- 7 ↑ Baumgarten, A., Aesthetica (1750), § 119 (Esthétique, tr. J.-Y. Pranchère, L'Herne, Paris, 1988).
- 8 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, B 297, tr. Barni & Archambault, GF, Paris, 1987.
- 9 ↑ Aristote, De coelo, II, 14, 297b 34 (Du ciel, tr. P. Moraux, Les Belles Lettres, Paris, 1965, pp. 100-102).
- 10 ↑ Nietzsche, F., Deuxième considération intempestive : « Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das Leben » (« De l'utilité et de l'inconvénient de la science historique pour la vie »), in Kritische Studienausgabe, éd. Colli / Montinari, Munich, 1980, t. i, p. 251, tr. P. Rusch, in Œuvres complètes, II, 1, Gallimard, Paris, 1990.
- 11 ↑ Husserl, E., Idées directrices pour une phénoménologie (1913), t. i, tr. P. Ricœur, Gallimard, Paris, 1950, § 27 sq.
- 12 ↑ Heidegger, M., Être et temps (1927), Tübingen, 1967, §§ 8, 81, 83, tr. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1987.
- 13 ↑ Bloch, E., Le Principe Espérance, chap. xvii, trad. Gallimard, Paris, 1976, p. 269.
- 14 ↑ Gadamer, H. G., Vérité et méthode (1960), tr. E. Sacre, Seuil, Paris, 1976, pp. 143 sq, cit. p. 148.
→ cosmologie, herméneutique, histoire, métaphysique, utopie
Philosophie Contemporaine, Ontologie
Alors que chez Husserl et Merleau-Ponty l'horizon est ce fond de surgissement d'une chose qui n'est pas visé thématiquement, mais constitue une limite de visibilité, pour Heidegger il s'agit de l'amplitude d'un domaine de visibilité, déterminant la modalité de présence de l'étant. Or, si l'étant n'entre en présence qu'eu égard à son être comme ce qui se retire et n'est rien d'étant, l'horizon transcendantal de l'être est alors le temps.
Jean-Marie Vaysse
Notes bibliographiques
- Heidegger, M., Être et temps (1927), Tübingen, 1967, §§ 8, 83, tr. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1987.