fonctionnalisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie de l'Esprit, Psychologie

Stratégie de caractérisation des phénomènes mentaux fondée sur l'idée que ce qui est essentiel à la définition d'un état mental est son rôle ou sa fonction au sein d'un système cognitif.

L'un des avantages du fonctionnalisme est de permettre de définir les états mentaux, en partie par le rôle qu'ils jouent les uns par rapport aux autres et non plus seulement, comme dans le béhaviorisme, par leurs relations à des stimulations sensorielles et à des comportements. On peut, par exemple, définir l'intention en disant qu'elle est produite sur la base de croyances et de désirs, et contribue à la production d'actions. Le fonctionnalisme autorise également une forme non réductionniste de matérialisme. Il permet de soutenir que chaque état mental est identique à un état physique qui le réalise, mais que différents exemplaires d'un même type d'état mental peuvent avoir des réalisations physiques différentes (thèse de multi-réalisabilité). On peut ainsi définir un niveau d'explication psychologique relativement autonome par rapport à un niveau d'explication physiologique sous-jacent. Il existe diverses manières de faire intervenir des considérations fonctionnelles dans le domaine du mental. Le fonctionnalisme conceptuel de D. Armstrong et de Lewis(1) propose que les concepts mentaux soient définis par la place qu'ils occupent dans le réseau de concepts formé par la psychologie de sens commun. Le fonctionnalisme machinique, prôné par H. Putnam(2) dans l'un des premiers manifestes fonctionnalistes, considère les états mentaux comme équivalents à des états fonctionnels ou logiques d'un automate probabiliste. Enfin, le psychofonctionnalisme s'intéresse aux relations entre états mentaux que peut mettre à jour une psychologie scientifique empirique(3). Beaucoup de philosophes pensent toutefois qu'une approche fonctionnaliste ne permet à elle seule de rendre compte ni de l'intentionnalité des états mentaux, ni des aspects phénoménaux de la vie mentale.

Élisabeth Pacherie

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Lewis, D., « Psychophysical and theoretical Identifications », Australasian Journal of Philosophy, 50, pp. 249-258.
  • 2 ↑ Putnam, H., « Minds and Machines », in Mind, Language and Reality, Cambridge University Press, Cambridge, 1975, pp. 362-385.
  • 3 ↑ Block, N., « What is Functionalism ? », in N. Block (éd.), Readings in Philosophy of Psychology, vol. I, Harvard University Press, Cambridge (MA), 1980.
  • Voir aussi : Pacherie, E., « Fonctionnalismes », Intellectica, 21, 1995.

→ externalisme / internalisme, intentionnalité, matérialisme, qualia

Sciences Humaines, Sociologie

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, plus particulièrement en sociologie et en anthropologie, le concept de fonction renvoie simultanément à un principe de méthode ; l'analyse fonctionnelle, à un mode d'explication ; l'explication fonctionnelle, et à un parti pris théorique : le fonctionnalisme.

L'analyse fonctionnelle consiste à traiter d'un fait social ou culturel sous l'angle des relations qu'il entretient, dans le présent, avec d'autres faits sociaux ou culturels au sein d'un ensemble dont il n'est pas nécessaire de postuler qu'il est entièrement organisé en système. La notion de fonction désigne ici le rapport de dépendance, au moins partiel, entre les composants d'une même réalité. L'analyse fonctionnelle équivaut donc à replacer les phénomènes à étudier dans leur contexte. En ce sens, tout essai de compréhension d'une réalité sociale mobilise l'analyse fonctionnelle.

L'explication fonctionnelle vise à rendre intelligible une institution sociale ou culturelle en spécifiant sa contribution au fonctionnement de la société où elle est présente. Alors que l'analyse fonctionnelle tire sa légitimité de l'idée selon laquelle les éléments d'une réalité sociale s'agencent selon une certaine logique de configuration à découvrir, l'explication fonctionnelle repose sur la présupposition d'une logique d'utilité assemblant des éléments dont la coexistence présenterait la caractéristique d'être orientée vers un but (la continuité, la stabilité, l'intégration, l'adaptation, etc.). C'est bien pourquoi le rôle rempli par l'un de ces éléments, sa fonction dans une acception empruntée à la biologie, pourrait en expliquer la présence. Dans la mesure où la référence à la fonction permet de livrer une explication à l'existence d'une institution dont on ignore l'origine et les développements historiques, l'explication fonctionnelle a été particulièrement à l'honneur en anthropologie, notamment en Grande-Bretagne (Malinowski(1), Radcliffe-Brown).

Une théorie fonctionnaliste est un corps de doctrine consignant une portée étiologique à la fonctionnalité : la fonction d'une institution en expliquerait l'apparition. Cette version forte du fonctionnalisme requiert l'adoption de trois postulats d'inspiration organiciste : 1) le postulat de l'unité fonctionnelle de la société selon lequel cette dernière serait entièrement structurée ; 2) le postulat de la généralisation du fonctionnement selon lequel chaque élément d'un système social exercerait une fonction déterminée au service d'une finalité d'ensemble ; 3) le postulat d'existence nécessaire selon lequel chaque élément, parce que présent et donc fonctionnel, serait une partie indispensable du tout (Merton(2), 1957).

Le fonctionnalisme a fait l'objet de nombreuses critiques. Force est toutefois de reconnaître que déjà Durkheim(3) (1895) avait gommé la dimension téléologique de la notion de fonction, conçue comme fin intentionnellement recherchée (Spencer), en lui donnant le sens de conséquence objectivement constatable. De la même façon, Durkheim avait désactivé le pouvoir explicatif étiologique prêté à la détermination de la fonction, en stipulant qu'aucune fonction ne saurait prédéterminer la structure susceptible de la remplir (argument des mutations fonctionnelles et des équivalents fonctionnels), pas plus qu'une structure ne saurait être caractérisée par son seul emploi fonctionnel (argument des survivances).

Alors que le fonctionnalisme en sciences humaines et sociales paraissait discrédité, et sa critique un exercice quasiment obligé, le débat a rebondi avec l'émergence des sciences cognitives et l'ambition de « naturaliser » certains domaines de recherche à l'aide des enseignements des sciences de la vie dans une perspective évolutionniste, c'est-à-dire en faisant référence à un processus de sélection. Assigner une fonction à une structure consiste alors à décrire un état de choses présent en renvoyant à un état de choses futur, que cette structure aurait pour finalité de contribuer à réaliser. Pour les tenants d'une telle approche, notamment en psychologie et en anthropologie cognitives, il s'est agi de lever la suspicion pesant sur la validité des explications fonctionnalistes, renouant qui plus est avec la téléologie. La discussion s'est plus particulièrement concentrée sur la distinction entre énoncés causaux et fonctionnels, sur la question de savoir s'il est possible d'éliminer ce qu'il y a de relatif à l'observateur et à son système de valeurs (la valeur de survie, par exemple, ou d'adaptation) dans l'assignation d'une fonction à une structure, ou s'il fallait se résoudre à admettre que, selon les termes du philosophe J.R. Searle(4) (1995), « en ce qui concerne la nature de manière intrinsèque, il n'y a pas de faits fonctionnels au-delà des faits causaux ».

Gérard Lenclud

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Malinowski, B., A Scientific Theory of Culture (1944), Oxford University Press, New York, trad. Une théorie scientifique de la culture, Maspero, Paris, 1968.
  • 2 ↑ Merton, R. K., Social Theory and Social Structure (1957), The Free Press, Glencoe, trad. Éléments de théorie et méthode sociologique, Plon, Paris, 1965.
  • 3 ↑ Durkheim, E., les Règles de la méthode sociologique (1895), PUF, Paris, 1997.
  • 4 ↑ Searle, J. R., The Construction of Social Reality, The Free Press, New York, trad. la Construction de la réalité sociale, Gallimard, Paris, 1998.
  • Voir aussi : Wright, L., « Functions », in The Philosophical Review, 82, no 2, 1973, pp. 137-168.