analogie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec analogia, d'analogos, « qui a même rapport, proportionnel », ana indiquant la répétition, logos le rapport. En allemand : Analogie, Gleichartigkeit, de gleich, « même, égal », et Art, « espèce ».
Philosophie Générale, Mathématiques, Philosophie Antique
Proportion mathématique entre des termes.
L'analogie dérive des recherches pythagoriciennes sur les rapports harmoniques entre les nombres. Théon de Smyrne en a rappelé les différentes espèces(1). L'analogie entre trois termes, a, b, c, telle que l'on ait : a / b = b / c, est appelée continue. L'analogie à quatre termes, a, b, c, d, telle que a / b = c / d, est dite discontinue(2). C'est la plus usitée. Si le rapport a / b = c / d est aussi égal à (a + b) / (c + d), on a alors nécessairement l'égalité b = c, ce qui ramène à l'expression à trois termes : l'image de la ligne chez Platon, exprimant analogiquement les rapports entre les divers degrés de la connaissance, fournit ici un exemple célèbre de cette conséquence(3). Le « calcul de la quatrième proportionnelle » est le calcul de la valeur, manquante, d'un terme, sur la base de la valeur connue des trois autres, et de leur rapport analogique.
L'analogie suppose une forme d'homogénéité des termes mis en rapport(4). Entre un rectangle et toute autre figure géométrique, on ne pourra poser au mieux qu'une « parenté » ; deux carrés entre eux seront plutôt dits isomorphes ; seuls deux rectangles ont quelque chance d'être jugés « analogues », en comparant le rapport de leur longueur à leur largeur.
Si l'intérêt mathématique des rapports analogiques est évident – Euclide s'y consacrera au livre V de ses Éléments –, leur attrait philosophique est non moins certain pour la pensée, qui se repérera plus facilement dans les choses grâce aux « identités de rapports » que les analogies suggèrent. Platon, influencé en ce sens par le pythagorisme, fera grand usage de l'analogie : les correspondances qui s'établissent analogiquement entre les choses témoignent, pour lui, de la présence même de l'intelligible ordonnant le cosmos. Interpréter l'image de la ligne, déjà citée, comme une simple métaphore à visée didactique serait sous-estimer l'importance ontologique que Platon attache aux égalités de rapports, lui qui souligne, à l'occasion, l'« égalité géométrique » qui prévaut entre le monde des dieux et celui des hommes(5). La progression analogique à trois termes sera définie comme « la plus belle » des liaisons dans le Timée, et sera utilisée dans la constitution du monde par le démiurge(6).
Sur les plans politique et juridique, la notion d'analogie alimente évidemment la conception de la justice distributive (à chacun selon ses mérites et besoins), là encore inaugurée par Platon(7) et reprise par Aristote(8).
Aristote a donné une définition explicite de l'analogie : « J'entends par analogie tous les cas où le deuxième terme entretient avec le premier le même rapport que le quatrième avec le troisième. » Il l'applique, en l'occurrence, à la métaphore, figure de style où le fonctionnement analogique de la pensée s'appuie effectivement sur une identité de rapports(9). L'idée de produire, par un rapport analogique, un effet de sens là où le langage ne fournirait pas le quatrième terme nécessaire peut rapprocher le procédé métaphorique du calcul mathématique de la quatrième proportionnelle. D'un point de vue plus strictement logique, Aristote ne dédaigne pas les apports du « raisonnement par analogie » : ce mode de pensée peut fournir des enseignements, quoiqu'il soit non analytique(10). Kant, à son tour, évoquera la possibilité d'une « connaissance par analogie », lorsqu'il s'agira, pour la raison, de chercher à connaître des réalités telles qu'un Être suprême(11).
La théorie scolastique de l'« analogie de l'être » (analogia entis) est intimement liée à l'histoire de la réception médiévale de la philosophie aristotélicienne. D'un point de vue philosophique, elle découle de la tension entre, d'une part, le problème de l'unification requise des sens de l'être pour fonder la métaphysique comme science de l'être en tant qu'être, et, d'autre part, la réflexion aristotélicienne sur les différents types d'homonymie, Aristote ayant notamment relevé une homonymie « par analogie »(12). Par leur importance dans la transmission de l'aristotélisme, l'interprétation d'Avicenne (Metaphysica), puis celle d'Averroès dans son Commentaire, s'avéreront déterminantes quant à la solution des difficultés, qui s'impose avec la grande scolastique. Chez Albert le Grand et saint Thomas, l'analogia entis est ainsi conçue comme le mode hiérarchique d'une participation graduelle des étants à l'être, selon leur dignité, permettant par contrecoup de sauver l'univocité du genre étudié par la métaphysique.
Christophe Rogue
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Théon de Smyrne, Des connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon, II, 19 et suiv.
- 2 ↑ Ibid., II, 31.
- 3 ↑ Platon, République, VI, 509 d.
- 4 ↑ Théon, op. cit., II, 20.
- 5 ↑ Platon, Gorgias, 508 a.
- 6 ↑ Platon, Timée, 31 b et suiv.
- 7 ↑ Platon, Lois, VI, 756 e et suiv.
- 8 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 6, 1131 a 30 et suiv.
- 9 ↑ Aristote, Poétique, 1457 b 15.
- 10 ↑ Aristote, Premiers Analytiques, I, 46, 51 b 25.
- 11 ↑ Kant, E., Prolégomènes à toute métaphysique future, §58.
- 12 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 6, 1096 b 26-31.
Épistémologie, Mathématiques
1. Transposition du concept mathématique de proportion. 2. Identité ou ressemblance de rapports.
D'origine pythagoricienne, l'analogie est arithmétique (A – B = B – C), géométrique (A / B = B / C) ou harmonique [(A + B) / A = (B + C) / C ou (A + B) / (B + C) = A / C]. Platon importe le modèle géométrique (essence / devenir = intelligence / opinion) et l'applique à des rapports opératoires : entre sophiste et pêcheur se manifeste l'identité de « capturer par ruse ». Aristote accorde à l'analogie le privilège des raisonnements transgénériques pour toute réalité mesurable lorsque la communauté de méthode le permet. L'analogie est donc une ressemblance de rapport, et non un rapport de ressemblance. Le concept s'assouplit ensuite, prenant le sens d'équivalence partielle, jusqu'à l'assimilation à la ressemblance superficielle et la transposition abusive de concepts.
Pourtant, outre l'utilité heuristique et pédagogique, « c'est donc sur l'analogie que repose la méthode des modèles »(1) dans chaque discipline(2). Elle apparaît forte ou faible, selon la rigueur de la correspondance : « La caractéristique d'un vrai système scientifique de métaphores est que chaque terme dans son sens métaphorique retient toutes les relations formelles avec les autres termes du système qu'il avait dans son sens original » (Maxwell)(3). Le réalisme des relations de Simondon pense la science en tant qu'analogie : la physique est une relation entre deux systèmes de relations analogues (les mathématiques et les processus d'ontogenèse). Il précise le critère de validité : « Ces identités de rapport sont des identités opératoires, non des identités de rapports structuraux »(4). La construction analogique d'objets scientifiques est intelligible si le rapport entre deux relations ayant valeur d'être est lui-même une relation ayant rang d'être.
Vincent Bontems
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Canguilhem, G., Études d'histoire et de philosophie des sciences, Vrin, Paris, 1994, p. 318.
- 2 ↑ Gonseth, F., Les Mathématiques et la Réalité, Blanchard, Paris, 1974.
- 3 ↑ Lichnerowicz, A., Perroux, F., Gadoffre, G. (dir.), Analogie et Connaissance, Maloine, Paris, 1980, p. 184.
- 4 ↑ Simondon, G., L'individu et sa genèse physique-biologique, Millon, Paris, 1995, p. 265.
- Voir aussi : Hesse, M., Models and Analogies in Science, Notre-Dame University Press, Notre-Dame (Ind.), 1966.
processus analogique
Freud a recours à l'analogie dès 1905 : hystérie adulte et expressivité corporelle infantile sont analogues (entre autres)(1). Elle est indispensable entre psychologies individuelle et collective : depuis l'analogie inaugurale de 1907, Actions de contraintes et Pratiques religieuses, jusque dans l'Homme Moïse et la Religion monothéiste (1934-1938) en passant par Totem et Tabou (1912-1913), où peuples primitifs, enfants, névrosés et rêveurs sont les termes des analogies.
Psychanalyse
1. Analyse des relations parties-tout de l'objet étudié, et comparaison avec un ou plusieurs autres objets, considérés selon leurs relations parties-tout. – 2. Examen des ressemblances et des différences entre objet étudié et objets de comparaison. – 3. Transgression des temps précédents par un acte conceptuel qui construit une nouvelle compréhension de l'objet étudié.
Restée vivace en théologie et dans le domaine du droit, l'analogie a été dévalorisée, voire interdite en sciences, avec le formalisme structural, et jusqu'en poésie(2). Elle est souvent réduite à la simple comparaison ou supplantée par la métaphore (J. Lacan). Pourtant, la pensée commune et les langues y ont souvent recours (« ailes de raie »). Les mathématiques actuelles (dynamique qualitative, théorie des catastrophes(3) et homologie) développent à nouveau l'analogie et offrent des moyens pour la contrôler.
André Bompard
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Freud, S., Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905, G. W. V, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard, Paris, 1962.
- 2 ↑ Secretan, P., L'analogie, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1984.
- 3 ↑ Thom, R., Stabilité structurelle et Morphogenèse. Essai d'une théorie générale des modèles, InterÉditions, Paris, 1977.