Jules Hardouin-Mansart
souvent appelé Mansart
Architecte français (Paris 1646-Marly 1708).
Introduction
Resté célibataire, François Mansart avait légué sa fortune et son nom à Pierre Delisle (?-1720) et à Jules Hardouin, petit-fils de sa sœur. Ceux-ci devinrent architectes tous deux ; mais seul Jules Hardouin-Mansart devait égaler l'oncle en renommée, lui ressembler par son esprit inquiet de perfection, par ses intrigues et ses spéculations comme par les calomnies dont il fut l'objet. Il lui ressemble encore par sa formation. Lorsque François Mansart confie à Libéral Bruant (1635-1697) ce fils du peintre Raphaël Hardouin, âgé de quinze ans et qui a appris le dessin chez Charles Poërson (1653-1725), c'est pour qu'il acquière sur les chantiers des Invalides et de la Salpêtrière une pratique solide de la stéréotomie. Sa science des profils sera vantée par ses élèves ; mais il n'ira jamais à Rome.
Ses débuts, comme ceux des autres architectes du temps, restent obscurs. Selon une anecdote, il devrait à Le Notre la faveur du roi ; chose vraisemblable, car sa vision esthétique est proche de celle du grand jardinier, et la part respective de chacun reste parfois difficile à déterminer (par exemple pour les jardins de Marly ou l'Orangerie de Versailles). Dire qu'il avait « subjugué » le roi est sans doute exact, mais ne saurait suffire à expliquer trente années de faveur constante. Seule sa maîtrise face aux problèmes les plus ardus pouvait permettre, au moins baroque des artistes du règne, de satisfaire pleinement le désir de grandeur de Louis XIV, d'établir le rayonnement de Versailles et de préparer pour l'avenir, par-delà la rocaille, l'épanouissement d'un nouveau classicisme.
Hardouin-Mansart doit à l'estime royale une ascension continue. Entré aux Bâtiments du roi et à l'Académie dès 1675, il est Premier architecte dix ans plus tard ; et la surintendance des Bâtiments, où Louvois avait succédé à Colbert en 1683, lui sera donnée en 1699. Anobli en 1683, Hardouin-Mansart est baron de Jouy et comte de Sagonne (titres qui reviendront à deux architectes du xviiie s., ses petit-fils). Pour faire face au labeur écrasant, il a organisé une « agence » dirigée par Robert de Cotte, où des collaborateurs font les mises au net. Ce sera prétexte à contester son talent, comme si l'architecture n'était pas conception et coordination d'un travail d'équipe, et plus encore en une période où la personnalité du créateur devait s'accorder à la discipline classique. L'œuvre semble difficile à circonscrire par sa variété comme par son étendue ; bornons-nous à trois aspects caractéristiques.
Pour le roi et la Cour
La première grande commande fut Clagny, pour Mme de Montespan. Cette demeure, réalisée en bordure de Versailles de 1674 à 1677 et aujourd'hui disparue, ajoutait à l'habituel plan en U deux ailes éployées qui accusaient l'horizontalité en multipliant les axes transversaux ; pliant le décor à l'architecture, la galerie montrait une tendance à s'affranchir des règles. Jules Hardouin-Mansart reprend cette disposition à Versailles en 1678-1684, pour donner au château son envergure définitive et remplace par la galerie des Glaces le vide central créé par la terrasse de Le Vau. En 1687, à Trianon, le déséquilibre dû au bras du canal est prétexte à une composition plus libre ; l'aile gauche de la cour vient entourer les communs ; l'autre, par un double retour d'équerre, permet aux jardins de s'insérer dans l'architecture, de la pénétrer même par la transparence du portique central. Comme au bosquet de la Colonnade, à peine antérieur, l'espace enclos l'emporte sur le décor raffiné et précieux qui l'encadre.
À Marly (commencé en 1679), dans l'implantation heureusement préservée, on discerne le tracé de Clagny, traité de façon plus souple, substituant au ruban continu des façades un chapelet de treize (douze plus un) pavillons (détruits) pour encadrer le jeu des terrasses et la féerie des eaux, éléments essentiels de cette « clairière des dieux ».
L'urbaniste
Créé à Paris pour les Bourbons, le thème de la place Royale manquait encore d'harmonie entre le motif central et un cadre trop vaste (le meilleur angle de vision se situant à une distance triple de la hauteur du monument). Jules Hardouin-Mansart l'a fort bien compris en adoptant la forme circulaire pour la place des Victoires (1685) et un rectangle aux angles abattus pour le programme définitif (1699) de la place Vendôme, chef-d'œuvre auquel la colonne a fait perdre sa signification. À Dijon, en 1686, quand il s'était agi d'établir le symbole du pouvoir face au palais des états, il avait opposé un hémicycle à la cour quadrangulaire et la statue au frontispice, en regard du centre de la composition, mais sans faire appel aux ordonnances ioniques, qui donnaient aux places parisiennes leur « habit de cour ». L'emploi raisonné des formes courbes devait lui fournir une autre solution remarquable, celle qui permettait d'insérer les Écuries de Versailles (1679) entre les voies d'accès convergeant vers l'avant-cour du château, vers cette magnifique esplanade amortie de quarts-de-cercle dont il pensait réutiliser le tracé devant le dôme des Invalides.
Saint-Louis des Invalides
Si Louvois songeait bien, en chargeant Jules Hardouin d'achever les Invalides, à y fixer la sépulture des Bourbons, peut-on s'étonner de voir l'architecte reprendre les géniales conceptions de son grand-oncle pour la chapelle funéraire de Saint-Denis ? Hanté à son tour par le problème de la double coupole, il en proposait dès avant 1680 l'adoption pour la chapelle de Versailles ; mais il devait finalement concevoir l'édifice palatial comme une sainte chapelle lumineuse et légère (1699) et réserver l'espace ineffable pour l'église dynastique. Le projet du dôme des Invalides (1676) sera réalisé, après modification du profil supérieur, à partir de 1680. La décoration, achevée en 1706, reste dans la manière de François Mansart, avec plus de légèreté et un souci constant de mettre la pierre en valeur ; mais les chapelles elliptiques saillantes ont fait place à des volumes simples, contenus dans le strict carré du plan. La méthode de composition est géométrique (ad triangulum) et fournit des figures très pures ; leur sévérité s'accorde avec le caractère d'un édifice considéré comme la plus parfaite réussite de l'art classique.
Outre ces réalisations, qui comptent parmi les plus célèbres de l'architecture française, Jules Hardouin-Mansart a encore beaucoup construit ; trente années à la tête des Bâtiments royaux, il a pu mener le classicisme à son apogée et, par la voie de ses élèves (en particulier Boffrand), en permettre la diffusion en Europe. À la froide beauté prônée par ses collègues de l'Académie, il a su ajouter la grâce et, renouant avec la tradition, mettre au point des distributions intérieures et un confort appelés à se généraliser. Ce souci rationnel, ne le dut-il pas quelque peu à sa première formation ? C'est un appareilleur, un praticien pensant en volumes et non en dessins qui a conçu la voûte plate de l'hôtel de ville d'Arles (vers 1684) et la structure dépouillée de l'Orangerie de Versailles (1680-1686) ; et cela n'enlève rien à une beauté établie sur des bases saines et commodes, selon les principes mêmes du classicisme.