Vladimir Vladimirovitch Maïakovski
Poète soviétique (Bagdadi, aujourd'hui Maïakovski, Géorgie, 1893-Moscou 1930).
Premiers engagements politiques et artistiques
Fils d'un garde forestier russe établi au Caucase, Maïakovski passe son enfance dans le village géorgien de Bagdadi et dans la ville voisine de Koutaïssi, où, à partir de 1902, il poursuit ses études secondaires. À la mort de son père, en 1906, sa mère et ses deux sœurs aînées s'installent avec lui à Moscou. Sa mère gagne sa vie en louant des chambres à des étudiants, auprès desquels Maïakovski fait son éducation politique. À quinze ans, en 1908, il entre en contact avec les organisations clandestines du parti bolchevik, dont il devient un militant actif. Arrêté à trois reprises, il finit par passer cinq mois en cellule à la prison de Boutyrki.
À sa sortie de prison, en janvier 1910, il cesse de militer, sans cependant renier ses convictions révolutionnaires ; abandonnant ses études secondaires, il se prépare à entrer à l'école de peinture, sculpture et architecture de Moscou, où il est reçu en automne 1911. Son condisciple, le peintre David Davidovitch Bourliouk, l'introduit dans les milieux de la peinture d'avant-garde, influencée par le cubisme naissant. Il l'enrôle avec Velemir Khlebnikov (1885-1922), théoricien du « mot en tant que tel », traité comme un pur matériau sonore de la création poétique, sous la bannière du cercle Guileïa (Hylê), noyau du groupe cubo-futuriste, dont Maïakovski signe les manifestes (Pochtchetchina obchtchestvennomou vkoussou [Une gifle au goût public], décembre 1912) et que sa haute silhouette et ses dons de tribun contribuent à populariser, notamment au cours d'une tournée de récitals à travers la Russie pendant l'hiver 1913-1914.
Par-delà l'excentricité provocante de son vocabulaire, marqué par les néologismes et les vulgarismes, de sa syntaxe, tourmentée par la recherche d'effets sonores nouveaux et de rimes inédites, de ses rythmes, qui font bon marché des règles traditionnelles de la versification, de ses images outrées, frappées au coin d'un expressionnisme violent, les premiers vers de Maïakovski, publiés à partir de 1912 dans les recueils futuristes – quelques poèmes sont réunis et publiés dès 1913 sous le titre Ia ! (Moi !) –, laissent entrevoir une puissante personnalité, qui, cependant, trouvera son expression la plus adéquate dans des suites lyriques de longue haleine (Oblako v chtanakh [Un nuage en pantalons], 1915 ; Fleïta-pozvonotchnik [la Flûte-colonne vertébrale], 1916 ; Voïna i mir [la Guerre et l'univers], 1917 ; Tchelovek [l'Homme], 1918). Révolte contre tout ce qui écrase ou asservit l'homme dans la cité moderne (« À bas votre amour, à bas votre art, à bas votre système, à bas votre religion ! », telle est, selon lui, la substance des quatre volets du Nuage en pantalons), le poète apparaît, par-delà le défi qu'il adresse à la foule, comme le porte-parole, le prophète et le rédempteur de l'humanité souffrante : de nombreuses réminiscences évangéliques soulignent en particulier ce thème du sacrifice. Cependant, l'originalité du lyrisme de Maïakovski tient surtout au caractère extrêmement concret de cette image symbolique du poète, qui a tous les traits de l'individu Maïakovski (Vladimir Maïakovski. Tragédie, tel est le titre du poème dramatique où le poète, en décembre 1913, interprète en public son propre rôle) : Maïakovski tend consciemment à abolir toute frontière entre son moi intime et son personnage littéraire.
Au service de l'art nouveau et de la révolution
Rallié sans réserves à la révolution d'Octobre, il participe par une série de poèmes-manifestes (Prikaz po armii iskousstva [Ordre du jour de l'armée de l'art], Poet rabotchi [le Poète-ouvrier], Radovatsia rano [Trop tôt pour se réjouir]) à la rédaction de la Gazeta foutouristov (Journal des futuristes, numéro unique du 15 mars 1918) et de l'hebdomadaire officiel Iskousstvo kommouny (l'Art de la Commune, décembre 1918-avril 1919), où les cubo-futuristes, qui ont tenté, sans succès, de faire admettre par le parti la création d'une cellule de « communistes-futuristes » (komfouty), justifient au nom de la révolution les principes de l'art « de gauche », qui se donne pour tâche de créer des formes neuves et non de copier la réalité existante, et qui remplit ainsi une fonction primordiale dans le processus révolutionnaire. La recherche de formes d'expression nouvelles, permettant au poète d'être en prise sur son temps, guide l'activité de Maïakovski pendant les années de la guerre civile. Avec Misteria-Bouff (Mystère-bouffe), représentation allégorique de la révolution, jouée à l'occasion du premier anniversaire d'Octobre, Maïakovski tente de retrouver, par-delà le théâtre psychologique du xixe s., la résonance populaire du théâtre médiéval. La même ambition est sensible dans le poème 150 000 000 (1921), conçu comme une création anonyme de l'imagination populaire, où les figures hyperboliques d'Ivan et de Wilson doivent représenter l'affrontement de la révolution et du monde capitaliste. Surtout, entre 1919 et 1922, Maïakovski compose pour l'Agence télégraphique russe (ROSTA) les légendes de près de 1 300 affiches de propagande politique, associant étroitement un distique ou un quatrain percutant (notamment grâce à la puissance de choc d'une rime inattendue) à un dessin satirique souvent exécuté au pochoir par lui-même.
Après 1922, il continue à composer « sur commande » des mots d'ordre, des légendes d'affiches politiques et de caricatures satiriques ainsi que des slogans publicitaires pour les entreprises d'État. Cependant, sa conception de la « commande sociale » trouve une application plus subtile dans sa collaboration avec les journaux. Avec le poème Prozassedavchiessia (Ceux qui se sont tués à siéger, 1922), publié en 1922 par les Izvestia (et bien accueilli par Lénine, jusque-là hostile au « futurisme » de Maïakovski), Maïakovski inaugure une carrière féconde de poète-journaliste, qu'il poursuivra à la première page de nombreux journaux soviétiques, répondant par des poèmes de circonstance à la plupart des événements de la politique intérieure et internationale. Ses séjours à Berlin (1922), à Paris (1922, 1924, 1927-1929), à New York, au Mexique et à Cuba (1925) lui fournissent en particulier la matière de reportages-pamphlets, où l'évocation des beautés architecturales et des prouesses techniques de l'Occident contraste avec l'image des misères capitalistes et des petitesses bourgeoises (cycle Parij [Paris, 1924-1925], poème Moïe otkrytie Ameriki [Ma découverte de l'Amérique, 1926], Brouklinski most [le Pont de Brooklyn, 1925], etc.).
Une personnalité tenaillée par l'impatience du réel et par l'obsession de l'enlisement dans la quotidienneté
À ces poèmes de circonstance, où domine l'inspiration satirique, s'opposent les grandes compositions lyriques de la veine du Nuage en pantalons, les unes inspirées par des motifs intimes, comme Lioubliou (J'aime, 1922) et Pro eto (Sur ce thème-là, 1923), les autres par des motifs civiques et politiques, comme Vladimir Ilitch Lénine (écrit en 1924 à la mémoire du leader décédé), Khorocho (C'est bien, écrit en 1927 à l'occasion du dixième anniversaire d'Octobre) ou les poèmes inachevés Piaty international (la Cinquième Internationale, 1922) et Vo ves golos (À pleine voix, 1930). Poèmes d'amour, poèmes révolutionnaires et poèmes satiriques jaillissent cependant d'une source commune ; l'élan révolutionnaire et la passion amoureuse sont l'expression d'une personnalité portée à la démesure, tenaillée par l'impatience du réel et le besoin insatiable d'un perpétuel dépassement de soi, d'une perpétuelle fuite en avant, besoin qui a pour corollaire l'obsession de l'enlisement dans la grisaille et la banalité quotidiennes, ennemi commun de l'amour et de la révolution.
Cette obsession du byt (« vie quotidienne ») et de la menace permanente que Maïakovski fait peser sur tout ce qui fait le prix de la vie, cette identification de l'idéal révolutionnaire avec le refus du quotidien sont particulièrement sensibles dans À ce sujet-là, dénonciation véhémente des habitudes, du confort, du genre de vie petit-bourgeois que la NEP a ressuscités au lendemain de la guerre civile. Elle est le thème central des œuvres satiriques inspirées à Maïakovski par la réalité soviétique et s'exprime en particulier dans la « comédie féerique » Klop (la Punaise, 1929), dont le héros est un prolétaire embourgeoisé, et dans le « drame en six actes avec cirque et feux d'artifice » Bania (les Bains, 1930), satire d'un appareil bureaucratique qui freine la marche en avant de l'esprit humain et l'élan créateur de la jeunesse. Les images de l'avenir, qui, dans ces deux pièces, servent de repoussoir à ces vestiges du passé que sont l'individualisme petit-bourgeois et la tyrannie bureaucratique, sont traitées, elles aussi, sur un monde humoristique, qui n'autorise cependant pas à y voir des témoignages d'un désenchantement de Maïakovski vis-à-vis de l'idéal communiste.
L'art de Maïakovski exprime, lui aussi, cette démesure d'une personnalité poétique impatiente de modeler le réel à son image. Son originalité est à la fois celle d'un regard et celle d'une voix. Le regard engendre la métaphore, hyperbole monumentale ou satirique qui déforme le réel selon les catégories du grandiose ou du grotesque. La voix devient le régulateur suprême de la forme poétique, qu'elle affranchit des règles métriques traditionnelles. La rime, dont Maïakovski accroît la charge sémantique en mettant l'accent sur sa nouveauté, au prix de son exactitude, est ici la marque principale du vers ; le mètre passe au second plan et est fondé non plus sur le compte des syllabes, mais sur celui de groupes accentuels d'inégale longueur, mis sur le même plan par l'intonation emphatique qui souligne la syllabe accentuée. Maïakovski apparaît ainsi comme le créateur d'une poétique originale, qui répudie la lettre de la versification russe tout en restant fidèle à son esprit : il s'en explique dans le court traité Kak delat stikhi (Comment faire des vers, 1926), qui éclaire les cheminements de sa création poétique.
L'époque de la LEF et de l'isolement
Identifiant la cause de l'art nouveau à celle de la révolution, il participe activement aux débats au cours desquels se définissent l'esthétique et la politique littéraire du nouveau régime. En 1923, il fonde le LEF (abréviation de Levy front iskousstv [« Front de gauche de l'art »]), dont la revue (LEF de 1923 à 1925, puis Novy LEF en 1927-1928) défend une conception volontariste de l'art contre l'« intuitivisme » du critique Aleksandr Konstantinovitch Voronski (1884-1943), partisan d'un retour au réalisme, auquel se rallient également les jeunes écrivains communistes de la RAPP (« Association russe des écrivains prolétariens »). Cependant, à l'intérieur même du LEF, Maïakovski entre en conflit avec les théoriciens les plus radicaux de l'« art de gauche », notamment les critiques N. Tchoujak et Ossip Brik, qui répudient totalement, au nom d'un utilitarisme rationaliste, toute littérature d'imagination ou de sentiment et qui en arrivent à assigner à l'art le rôle d'une esthétique industrielle. Rompant avec ces théories extrémistes, Maïakovski quitte le LEF en 1928 et fonde l'année suivante le REF (Revolioutsionny front [« Front révolutionnaire »]). En février 1930, surmontant ses réserves, il adhère à la RAPP, en qui il voit l'organisation littéraire la plus révolutionnaire, mais dont les dirigeants continuent à le traiter en « compagnon de route » peu sûr.
L'isolement littéraire et sentimental dans lequel se trouve alors le poète est peut-être la cause immédiate de son suicide, survenu le 14 avril 1930 et dont il faut, en tout cas, chercher les racines profondes dans la nature même de son tempérament lyrique et de son engagement poétique.