Thomas Hobbes
Philosophe anglais (Westport, Wiltshire, 1588-Hardwick Hall 1679).
Auteur du célèbre Léviathan (1651), mais aussi de trois importants ouvrages qui composent ses Éléments de philosophie – De cive (« Du citoyen », 1642), De corpore (1655), De homine (1658) –, Thomas Hobbes est un théoricien du droit et du contrat social, et, comme tel, l’un des fondateurs de la philosophie politique moderne.
L'héritier du matérialisme antique
Ancien étudiant d’Oxford, Thomas Hobbes travaille à partir de 1620 avec le philosophe Francis Bacon, qui l’introduit dans le milieu scientifique : il se familiarise alors avec la philosophie mécaniste et porte un grand intérêt aux anciens philosophes matérialistes ainsi qu'aux recherches physiques sur la conservation du mouvement. À Paris, il découvre en 1629 la méthode inspirée d'Euclide, qu'il commence à appliquer dans son Court Traité des premiers principes.
En 1640, alors que se prépare la première révolution d’Angleterre, Hobbes rédige les Éléments du droit naturel et politique. Par prudence, il vit en France jusqu’en 1651. Proche de l'abbé Mersenne et de Galilée, il se lie également d'amitié avec William Harvey, qui avait découvert la circulation du sang et avec qui il partage les mêmes affinités méthodologiques. En 1660, Charles II retrouve le trône des Stuarts et, bien qu’il ne soit pas hostile à Hobbes, celui-ci devra se défendre contre de nombreuses accusations de trahison et d'athéisme. En 1683, l'université d'Oxford condamnera dans l’allégresse générale le De cive en même temps que le Léviathan, qu’elle accuse d'attribuer à l'autorité civile une origine populaire.
Le penseur de la cité
Quiconque observe comment il pense et raisonne connaîtra par là même les pensées et les passions des autres hommes en des occasions semblables. Cependant, cette similitude des pensées et des passions individuelles n'apparaît pas dans l'état de nature, qui est le règne de la dissimulation, du mensonge et de la lutte ; on ne peut en juger que dans l'état civil, où « celui qui doit gouverner toute une nation ne doit pas lire en lui-même tel ou tel individu mais l'humanité ».
Le désir de puissance
L'état de nature est affecté d'une contradiction qui rend son développement nécessaire. Le point de départ en est le conatus (l’effort pour se conserver soi-même), dont la spécificité humaine est la défense contre la menace que représente l’autre. Le grand moteur de la lutte de tous contre tous est la crainte de la mort subite plus que le désir de dominer infiniment. En fait, le désir humain ne se satisfait pas dans la simple reproduction du mouvement vital, il est désir infini de puissance. Ainsi, il y a une « inclination générale » de toute l'humanité, un désir perpétuel d’acquérir de plus en plus de pouvoir. Or, il ne s'agit pas ici d'une simple accumulation d'objets, parce que, d'une part, le désir de puissance résulte de la relation à autrui et que, d'autre part, le pouvoir sur autrui est le plus grand des pouvoirs.
La « vraie valeur » de l’homme
Dans sa relation à l'autre, chaque Moi individuel tend à s'accorder à lui-même la plus haute valeur possible. L'analyse de la notion de valeur fournit la clé de la contradiction propre au désir de puissance dans le processus de la reconnaissance. En effet, ce que Hobbes appelle la « vraie valeur » d'un homme ne correspond ni à l'importance que cet homme s'accorde à lui-même, ni à un absolu : elle se réduit, comme toute chose, à son prix, « c'est-à-dire ce qu'on donnerait pour disposer de son pouvoir ».
Pour Hobbes, il ne s'agit pas seulement de réduire la valeur de l'homme au prix de la chose, mais de montrer que sa valeur réelle n'est pas celle que le Moi s'accorde dans son affirmation de soi : elle dépend entièrement du besoin et de l'opinion de l'autre. On comprend, dès lors, la nécessité pour chaque individu d'accroître sa puissance, et la contradiction dans laquelle est enfermé le désir de puissance.
De l’état de nature à l’état civil
L'opposition entre l'état de nature et l'état civil n'est pas une opposition simple de la nature et de l'artifice. En effet, le premier comporte déjà l'artifice du langage verbal, source de tous les autres artifices, en particulier de l'État. C'est la parole qui permet de prendre conscience de la contradiction du désir de puissance et d'en sortir par l'acte verbal du contrat. Il est légitime que les hommes obéissent à l'État, à condition que celui-ci garantisse l'ordre en exerçant une autorité et non une domination.
L'État est une « personne artificielle » dont la nature est la représentation de l'ordre civil, et la fonction, la protection des citoyens. La réflexion entreprise par Hobbes dans le Léviathan porte sur l'essence du pouvoir d'État, et non sur une forme de gouvernement : l’ouvrage présente une théorie du pouvoir sous sa forme pure. À l'état de nature, l'homme est dénué de toute bonté, comme les animaux livrés à la « loi de la jungle » – d’où la formule, qu’on attribue à tort à Hobbes, « l’homme est un loup pour l’homme ». Il y règne la puissance anarchique de la multitude (potentia).
Hobbes expose comment cette multitude se convertit par contrat en un pouvoir politique (potestas). De ce processus naît plus qu'un consensus ou une concorde : une unité réelle de tous en une seule et même personne, que l'on appelle « république » (civitas). La multitude se transforme alors en peuple. Hobbes peut donc légitimement récuser tout droit de révolte, car « celui qui se plaint d'un tort commis par le souverain se plaint de ce dont il est lui-même l'auteur ». Prolongement logique de la théorie du contrat, la théorie de la souveraineté affirme que c'est bel et bien un pacte social qui institue le monarque – ce qui signifie l'abandon de toute théorie du droit divin.