Francis Bacon
baron Verulam, 1er vicomte St Alban
Homme d'État et philosophe anglais (Londres 1561-Londres 1626).
Philosophe de la singularité des faits naturels, qu’il a tenté de saisir par la méthode de l’induction, Francis Bacon marque la rupture avec la vision scolastique du monde et les préjugés qui ne résistent pas à l’épreuve des expériences. Son Nouvel Organon est l’un des ouvrages fondateurs de la pensée scientifique.
De l’ambition politique à la réflexion philosophique
Fils d’un garde des Sceaux de la reine Élisabeth Ire (1558-1603), Francis Bacon exerce le métier d’avocat et siège à la Chambre des communes de 1584 à 1593. Protégé du comte d’Essex, lui-même favori de la reine, il obtient cependant la condamnation de ce dernier lorsqu’il tombe en disgrâce. Il consolide alors sa position à la cour sous le règne de Jacques Ier (1603-1625) : il devient successivement procureur général (1613), conseiller privé du roi (1616), garde des Sceaux (1617), lord chancelier (1618).
Auteur d’Essais de morale et de politique (1597), où il distingue l’une de l’autre – non sans référence à Machiavel –, Bacon va perdre toutes ses charges officielles en 1621. Accusé de vénalité par le Parlement, il doit renoncer à la vie publique. Dès lors, il a tout loisir pour se consacrer à l’élaboration de son projet philosophique, auquel il donne le nom de « Grande Reconstitution » ou « Grande Restauration » (Instauratio magna, 1623). Trois œuvres majeures en sont issues : le Traité de la valeur et de l’avancement des sciences (1605), le Nouvel Organon (Novum Organum Scientiarum, 1620) et la Nouvelle Atlantide (posthume, 1627).
L'enquête sur le savoir
Bacon entend purger la connaissance de l’héritage de Platon et d’Aristote. Le savoir étant la plus haute vocation de l’homme, hormis son salut par la foi, il possède une valeur morale et politique qui nous fait repousser les apparences et nous inspire des doutes salutaires. Le savoir est structuré comme l’est l’entendement humain, de sorte que l’histoire correspond à la mémoire, la poésie à l’imagination et la philosophie à la raison. Bacon, avant Descartes, compare le savoir à un arbre dont la philosophie serait le tronc. La science naturelle se divise en physique et en métaphysique, celle-ci revêtant un sens nouveau : celui d’étude des principes ou axiomes communs dont dépendent à leur tour diverses sciences.
La méthode inductive
La méthode à suivre est celle de l’expérimentation. Elle consiste en premier lieu à dresser un grand inventaire de ce que l’homme sait déjà, en se méfiant des expériences isolées, qui surgiraient par hasard ou qui n’auraient qu’une utilité immédiate. Il est essentiel de privilégier les expériences qui « tirent à conséquence » et qui permettent d’inventer des expériences nouvelles. Pour cela, il faut conduire l’expérimentation avec précision et fermeté. Ainsi seront découvertes les choses dans leur nature même et, par induction, établies les lois générales qui régissent les liens existant entre elles.
Dans l’induction ordinaire, l’on passe d’emblée de l’observation des faits particuliers aux principes les plus généraux, tandis que, dans l’induction expérimentale, l’on doit avancer de manière graduée, non pas vers des notions générales, mais vers des principes qui « adhèrent à la nature des choses ». L’expérimentation doit aussi rectifier les erreurs imputables aux sens, mais elle a besoin, pour cela, d’une purification préalable. Elle seule permet une nouvelle « instauration » du savoir.
La fin des « idoles »
Or, il n’y aura pas restauration des sciences tant que les notions fausses, comparées à des « idoles », obscurcissent l’esprit à la manière des ombres dans la caverne de Platon. Pour disperser ces ombres, Bacon recommande de « constituer une enquête unique et générale » sur les modes de transmission du savoir. Mais la découverte de connaissances nouvelles exige également qu’on recherche, qu’on vérifie, qu’on dénombre et qu’on mesure ce qui est enseigné par l’expérience. Une fois cette foule d’observations particulières rassemblées, il reste à les ranger et à les coordonner.
Bacon cherche avant tout à comprendre le donné empirique, hors de toute considération de type métaphysique. Aussi rejette-t-il les notions aristotéliciennes de cause finale, formelle et matérielle. Cette approche critique inspirera les empiristes tels que Hume, même si ceux-ci vont plus loin que lui dans la mise en question de la causalité, qu’ils enracinent dans les habitudes de l’esprit humain.