Nikolaï Ivanovitch Boukharine
Économiste et homme politique soviétique (Moscou 1888-Moscou 1938).
Les années de formation
Né de parents instituteurs, Nikolaï Boukharine suit les cours de l’université et participe dès 1905 à des mouvements de grèves ; en 1906, il adhère au parti bolcheviste. Arrêté à plusieurs reprises, déporté, il s’enfuit en Allemagne. À Cracovie en 1912, il rencontre Lénine, et aide Staline à Vienne dans la rédaction de sa brochure le Marxisme et la question nationale. Il entre en contact avec Léon Trotski et rédige des articles dans Novyï Mir. En 1914, il est en Autriche, d’où il gagne la Suisse, la Suède, la Norvège, le Danemark et New York . À la révolution de février 1917, par le Japon, il gagne la Russie.
L’enfant chéri du parti
Il soutient les « thèses d’avril » de Lénine contre Kamenev et Staline. Élu membre du Comité exécutif du soviet de Moscou et membre du Comité du parti pour Moscou, il devient, en décembre 1917, rédacteur en chef de la Pravda ; il le restera dix ans. Lors des négociations avec l’Allemagne, il se prononce contre le traité de Brest-Litovsk. Lénine le considère comme l’un des espoirs du parti, et les jeunes auditoires apprécient la vivacité de sa pensée, sa parole incisive, ses boutades : il est choisi, avec Preobrajenski (1886-1938 ?), pour rédiger un A. B. C. du communisme, que les deux auteurs considèrent comme un « cours rudimentaire » de marxisme ; çà et là, cependant, pointe un révisionnisme latent.
En 1920, Boukharine publie un ouvrage, l’Économie de la période de transition ; expliquant le communisme de guerre, il justifie la prolongation de la dictature du prolétariat, qui permettra de poursuivre la révolution et de porter la lutte de classe à un plus haut niveau. La même année, dans la controverse sur l’avenir du syndicalisme, il se prononce, avec Trotski, pour l’étatisation des syndicats.
En 1921, poursuivant son œuvre d’éducation, il publie la Théorie du matérialisme historique, manuel populaire de sociologie marxiste, issu de discussions avec les étudiants de l’université Sverdlovsk. (« Il serait étrange que la théorie marxiste piétine toujours sur place. »). Il se prononce avec Léon Trotski pour la militarisation du syndicat ; puis il écrit l'Impérialisme et l'Accummulation du capital, contre les thèses de Rosa Luxemburg et Mikhaïl Tougan-Baranovski (1865-1919).
Quand Lénine disparaît, en janvier 1924, il semble assuré de l’avenir. Les dirigeants du parti savent comment Lénine l’a jugé dans son « Testament ». L’action peut corriger ce qu’il a encore de scolastique.
Boukharine et les paysans
De 1924 à 1927, Boukharine est considéré comme le cerveau de la N.E.P. (Nouvelle Politique économique), que Staline continue d’appliquer. Pour lui, le maintien d’une solide alliance entre la paysannerie et le prolétariat permettra d’établir les fondations nécessaires : une croissance industrielle liée à une agriculture prospère. Sa déclaration du 17 avril 1925 lui vaut d’être appelé « le Guizot du bolchevisme » : « Aux paysans, nous devons dire : Enrichissez-vous. Développez vos fermes. Ne craignez pas que la contrainte s’exerce sur vous. Aussi paradoxale que la chose puisse paraître, nous devons développer les fermes aisées pour aider les paysans pauvres et moyens. »
Boukharine ne croit plus à la proximité d’une révolution mondiale. Il ne pense plus qu’une révolution ouvrière en Europe occidentale et centrale puisse résoudre tous les problèmes. Il n’espère plus en un prochain retour à la démocratie intérieure dans le parti. Mais il croit en une réanimation du marché par la hausse des prix agricoles, en une stimulation de la production par l’accroissement de la consommation paysanne. Quand Staline, abandonnant la N. E. P., inaugure la planification et entreprend la collectivisation, Boukharine, dans un article de la Pravda (30 sept. 1928) intitulé Notes d’un économiste, laisse entendre qu’il est en désaccord profond.
La chute
Alors qu’en 1927 la Grande Encyclopédie bolcheviste le dépeignait encore comme un des leaders de la révolution d’Octobre, éminent théoricien, économiste et sociologue, il est maintenant dénoncé comme un déviationniste de droite et se voit privé de la plupart de ses fonctions.
Il est cependant chargé de plusieurs missions à l’étranger. Au cours de l’une d’elles, à Paris, il rencontre Dan, social-démocrate en exil, et lui lance : « Staline n’est pas un homme ; c’est un démon. » À son interlocuteur, qui lui demande pourquoi alors il retourne en U. R. S. S., il répond que Staline reste l’incarnation du socialisme dans les masses ignorantes. En décembre 1936 - janvier 1937, le Courrier socialiste de Dan publie sur l’assassinat de Kirov une « Lettre d’un vieux bolcheviste », dont ce journal, en novembre 1959, révélera qu’elle émanait de Boukharine. Mis en accusation lors des procès de Moscou, pendant la période de la grande terreur (1936-1938), Boukharine est condamné à mort puis exécuté. Il est réhabilité en 1988.