suffrage universel
Droit de vote pour tous les citoyens qui ont la capacité électorale.
Le principe de la délégation de pouvoir
Le principe de base de la démocratie est de faire exercer le pouvoir (gestion de la res publica, la « chose publique ») par l'ensemble des citoyens. Si cela était matériellement possible pour les petites cités grecques de l'Antiquité telles que les voyait Platon, avec leurs réunions périodiques sur l'agora, cela devenait une chimère au-delà d'un certain nombre de citoyens. Aussi le principe de la délégation de pouvoir, principe aussi vieux que l'organisation des premiers groupes humains et qui est un simple aménagement de la notion de chef, réapparaît-il dans le régime démocratique.
Les systèmes de gouvernement les plus fréquents jusqu'au xviiie s., où commencent à se répandre avec l'exemple britannique les idées démocratiques, reposent tous sur la délégation de pouvoir : basée sur la force pour les chefs de bandes ou de tribus, dans lesquelles le guerrier le plus valeureux prend la tête jusqu'à ce qu'il se fasse vaincre à son tour ; implicite, d'essence divine pour la monarchie, qui a su renforcer le système tribal originel en s'appuyant sur la religion pour légitimer l'appropriation du pouvoir par une seule lignée.
Le principe démocratique prévoit également une délégation de pouvoir temporaire et absolue, mais fondée sur la rationalité. Des idées exprimées par la majorité du peuple se dégagent les lignes directrices du meilleur gouvernement possible. Le suffrage universel repose, dans cette optique, sur la notion d'équivalence humaine ou d'égalité des citoyens. Contrairement aux régimes de type aristocratique ou monarchique, dans lesquels le consensus populaire est jugé implicite, en démocratie un véritable contrat social est passé entre le peuple et ses dirigeants. Le passage de l'État féodal à l'État-nation contraint le suzerain à rechercher d'autres appuis que celui de ses vassaux.
Les premiers parlements, formés des représentants de la noblesse, du clergé et du tiers état, que désignent leurs pairs, informent le roi et le conseillent « humblement » (états généraux de France, diète allemande, Cortes en Espagne, Parlement anglais). C'est en Angleterre que l'évolution vers une Chambre, véritable représentante de la nation auprès du roi, se dessine avec netteté dès le début du xviiie s. La Révolution française et l'Indépendance américaine s'en inspireront pour créer les deux autres grands parlements du siècle.
Du suffrage restreint au suffrage universel
Le terme même de « suffrage universel » apparaît pour la première fois dans la Constitution bonapartiste de l'An VIII (1799). Mais il ne se réalisera dans les faits qu'après la proclamation de la République, avec le décret du 5 mars 1848 : la France devient le premier pays du monde à adopter le suffrage universel. Le caractère censitaire du droit de vote (accordé seulement à ceux qui paient l'impôt) est supprimé ; le droit de vote est accordé à tous les citoyens sans conditions de capacité ou de fortune. En 1884, la majorité électorale est fixée à 21 ans (elle ne sera abaissée à 18 ans qu'en 1974).
Pendant près d’un siècle, il ne s’agira cependant que d’un « suffrage universel masculin » : c'est seulement en 1944 que les femmes obtiendront le droit de vote en France, 75 ans après l'État américain du Wyoming, qui fut le premier à le leur reconnaître.
De nos jours, la plupart des pays démocratiques connaissent des conditions semblables d'exercice du suffrage universel. En France, ce droit est ouvert à tous les Français (et ressortissants de l’Union européenne pour certaines élections), hommes et femmes, âgés d'au moins 18 ans, n'étant pas frappés d'une incapacité intellectuelle, morale ou pénale (loi de 1852), et étant inscrits sur une liste électorale (loi du 9 mai 1951).
Suffrage direct et indirect
L'élection se fait au suffrage universel direct lorsque les électeurs choisissent eux-mêmes leurs représentants ; elle se fait au suffrage universel indirect, lorsqu'ils désignent un collège électoral composé de grands électeurs qui élisent à leur tour leurs représentants. Le suffrage universel direct n'a tout d'abord été appliqué que pour la désignation des organes législatifs de l'État (et plus précisément de l'Assemblée nationale en France), l'exécutif, chargé d'appliquer les lois, n'en étant qu'une émanation. Dans un pays de tradition parlementaire comme la France, l'élection du président de la République au suffrage universel direct (depuis une loi constitutionnelle de 1962) a entraîné une rivalité entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif, chacun tirant sa légitimité du peuple. Cette force nouvelle acquise par le gouvernement sur le Parlement tend à ne donner au député qu'une simple fonction de représentant d'une collectivité locale, alors que dans le principe son élection lui confère un « mandat représentatif » de la nation tout entière.
Modes de scrutin
On distingue deux formes de scrutin : le scrutin majoritaire et le scrutin proportionnel. Le scrutin majoritaire peut comporter un ou deux tours, être uninominal ou porter sur une liste. À un tour, il favorise le bipartisme ; à deux tours, il élimine les petits partis, sauf ceux qui entrent dans une coalition.
Le scrutin proportionnel est plus respectueux de la pluralité des opinions, mais il ne facilite pas l'émergence d'une majorité. Le nombre de sièges est attribué à chaque liste en divisant le nombre de suffrages exprimés par le nombre total de sièges à pourvoir. La liste obtient autant de sièges que son score contient ce quotient. Les sièges restants sont répartis au plus fort reste (nombre de voix restant après la division) ou à la plus forte moyenne (on ajoute un siège fictif à chaque liste et on calcule la moyenne des voix par siège). Le plus fort reste est plus favorable aux petites listes. (→ élection.)
Démocratie participative
Dans les régimes démocratiques, le suffrage universel connaît un certain nombre de remises en question. Le poids de la presse, qui appartient à certains groupes, le coût des campagnes électorales, le fait qu'une fois élu le député, non révocable, n'applique pas son programme, tendent à déconsidérer le « bulletin de vote » anonyme et épisodique.
De surcroît, la démocratie politique n'apparaît plus apte à assurer la démocratie sociale et économique. Si la participation aux prises de décision reste une aspiration profonde du citoyen, elle se situe maintenant à des niveaux plus quotidiens : l'entreprise, le quartier, la ville. À l'époque où les distances se réduisent, où l'information est instantanée, il devient nécessaire, pour assurer une démocratie véritable et non formelle, de dépasser le contenu purement électoral du concept de suffrage universel pour s'orienter vers un système de participation collective permanente.